Christophe Donner : Contre l'imagination
Livres

Christophe Donner : Contre l’imagination

Il est au début de la quarantaine et compte déjà plus de trente livres à son actif, dont une bonne moitié destinée au jeune public. Ses romans «pour adultes» avaient précédemment donné le ton, puisque l’ouvre romanesque de Christophe Donner revendiquait clairement son caractère autobiographique. Dans ce premier manifeste littéraire, typique de la tradition pamphlétaire française, il se révolte contre l’imagination, avec cette même flamboyance qui allumait ses derniers récits (Quand je suis devenu fou ou Forme d’amour no 3 ou 4).

Un vibrant plaidoyer pour le «me, myself & I», mordant, intégriste, manichéen, qui se fout des nuances. Ou bien on s’amuse et on fraternise avec ce messie de l’autofiction, quitte à ranger ses réserves et sa dissidence au vestiaire; ou bien on s’offusque de l’offense. J’ai plutôt choisi de me taper deux petites heures de plaisir!

Ce petit brûlot, arrogant par ses condamnations cinglantes (face à Daniel Pennac, Gilles Deleuze, Astérix!), percutant avec ses formules-chocs, nous transmet en quelque sorte le plaisir masturbatoire que s’est payé l’écrivain. Le propos de Donner: la littérature est contaminée par l’imagination, ce fléau qui plus souvent qu’autrement invente du banal, du déjà-vu. «L’imagination est un poison qui n’écrit pas son nom sur le flacon, son art de l’empoisonnement consiste à se mêler aux breuvages les plus sains, les plus réalistes. Même le récit de soi n’est pas un gage de vérité…»

Les grands mots sont lancés: le réel, la vérité… Et tout ce qui s’ensuit: l’art, la science, Dieu tant qu’à y être! Mais si l’on est «contre l’imagination», on est forcément contraint à faire l’éloge du réel; «…c’est l’essence même de l’art, le devoir de la littérature, car c’est la question de l’existence, la nôtre…».

On peut taxer Christophe Donner de narcissisme, mais ce serait lui lancer des fleurs! On peut se borner à n’y voir qu’un idéaliste naïf, un vieil ado qui refuse de vieillir, un éternel dandy qui se regarde vivre. Mais on ne peut pas échapper à la morale de son crachat: on est sans doute, chacun face à soi-même, le nombril de son propre monde. Et pourquoi est-on si effrayé à l’idée de fouiller son petit jardin? «Ce qui nous pousse toujours à faire appel à ce poison de l’imagination, c’est la peur de soi, la panique devant un être qui ne ressemblerait pas, après écriture, à l’image qu’on se faisait de soi.»

Étrangement, c’est un livre qui donne le goût de s’écrire. A soi-même. Sur soi-même. Pour investir notre réel et notre vérité. Éd. Fayard, 1998, 120 p.