Claire VarinClair-obscur à Rio : L'amour fou
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Claire VarinClair-obscur à Rio : L’amour fou

Le Brésil, terre de contrastes, miroir à multiples facettes, prend des colorations différentes sous les plumes des Sergio Kokis, Pierre Samson ou Daniel Pigeon. L’essayiste et romancière Claire Varin, spécialiste de l’écrivaine Clarice Lispector à qui elle a consacré deux essais, Clarice Lispector – Rencontres brésiliennes et Langues de feu (Éd. Trois, 1987 et 1990), propose à son tour une incursion dans les mystères de ce grand pays. Après Profession: Indien, en 1996, son second roman, Clair-obscur à Rio, relate la quête spirituelle d’une femme troublée par un faux gourou.

La ville de Rio de Janeiro apparaît dès les premières pages dans sa bruyante cacophonie, sa frénésie, ses odeurs, ses extravagances, sa folie. Sa chaleur excessive, sa surpopulation. Ses plages, ses touristes, ses risques. Christine Després, jeune journaliste québécoise, y débarque, accueillie par des amis, entraînée déjà dans quelque réception mondaine. Mais elle est venue ici pour un salutaire retour aux sources: elle a quitté Montréal, sa famille, ses amies, un amant, pour une année sabbatique, avec un vague projet d’articles sur le Brésil. Surtout, elle a envie de refaire le plein, de se reposer, et le désir secret de trouver là-bas «l’amour idéal, le sublime, celui qui déplace les montagnes».

D’abord happée par la vie trépidante de la ville, par des images de misère qui la brusquent, mais aussi grisée par sa nouvelle liberté, Christine fait des rencontres, discute, s’amuse, sans arriver cependant à faire abstraction du vide intérieur qu’elle est venue combler. C’est alors que, pour son malheur, attirée par les médecines orientales, elle va consulter un médecin-médium-moine d’origine japonaise, du nom de Soko. Obnubilée par son besoin amoureux, la jeune femme va peu à peu se laisser entraîner dans des mirages par ce manipulateur hors pair. Jusqu’au seuil du déséquilibre mental, jusqu’à chercher l’aide de sorciers charlatans profiteurs.

L’étrange relation qui se noue entre la Québécoise et Soko n’est pas sans rappeler toutes ces histoires tordues de dépendance affective et d’abus entre thérapeutes et patients. Christine, empêtrée dans des croyances ésotériques où elle nous perd un peu, est en fait à la recherche d’elle-même et d’une forme d’amour bien pur. A la fois savante et naïve, ses réactions face à la duplicité évidente de celui qui deviendra son amant, après l’avoir envoûtée avec de belles paroles, paraissent parfois d’une candeur excessive. Sans doute est-elle victime de sa sincérité. Elle se rebiffe, rue dans les brancards, mais lui revient toujours.

«Elle s’adjurait de ne pas verrouiller son cour même si Soko flattait son désir à rebrousse-poil. L’apprentissage de l’amour prévalait sur le désir. Non pas la passion, mais la dilection: amour tendre et spirituel. Tendre, spirituel, soit, mais – Christine y tenait – incarné. Pour l’heure, elle aurait voulu posséder la force de refuser sa peau à Soko qui réglait toujours unilatéralement le moment de leur réunion, mais la rareté de leurs corps à corps intensifiait sa soif au lieu de l’apaiser.»

Par moments lyrique ou poétique, ailleurs plus terre-à-terre, chargée de souffrance ou de révolte, l’écriture de Claire Varin est particulièrement soignée et riche. Laissée à sa solitude, son héroïne voyage dans la campagne et les villes d’un Brésil rendu ici dans tous ses mythes, mais aussi ses odeurs, sa sensualité, ses horreurs et ses beautés.

Clair-obscur à Rio
de Claire Varin
Éd. Trois, 1998, 166 p.