Michel DésautelsSmiley : L'odieux de l'Olympe
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Michel DésautelsSmiley : L’odieux de l’Olympe

Atlanta, 1996. Peu après le coup d’envoi des Jeux olympiques et peu avant l’attentat qui allait en balafrer le souvenir, les destins de quelques personnages vont se nouer et changer de cours à jamais. Parmi eux, le sprinter vedette James Jackson, le journaliste allemand Gunther, l’ambitieuse et manipulatrice «elle» (nous ne connaîtrons jamais son nom) et Smiley, le serveur de restaurant, sympathique escogriffe et premier fan de Jackson.

Le pari n’était pas gagné d’avance. Installer un roman dans le contexte du sport professionnel, c’est courir le risque d’enfanter un drame sportif aux allures de déjà vu, le genre de livre gentil qui figure à merveille sur les kiosques d’un terminus d’autobus. Michel Désautels, journaliste bien connu, a su donner à son histoire la consistance qu’il faut pour la hisser à la hauteur d’une tragédie humaine convaincante. Très convaincante, même, puisque Smiley vient de mériter à son auteur le prestigieux prix Robert-Cliche du premier roman.

Quand on évoque ce prix devant lui, Michel Désautels affiche la satisfaction de l’athlète qui a brillé lors de sa toute première compétition. Or, il se dit moins sensible à la gloriole qu’à l’assentiment: «Pour moi, ce prix est important dans la mesure où il confirme une chose, c’est que j’ai eu raison de ne pas me censurer, de ne pas essayer de correspondre à une image que les gens pourraient avoir de moi.» Il faut dire que son roman, osé par endroits, sarcastique par essence et plutôt fouille-merde côté intrigue, montre un Michel Désautels audacieux, qui a vraisemblablement pris grand plaisir à donner dans la fiction: «Je me suis amusé beaucoup plus que je ne l’aurais cru. Je pense que ça a transpiré à la fin de l’exercice et que ça a pu éventuellement séduire le jury.»

L’histoire: Smiley n’attendait pas tant de la vie. Quand le journaliste Gunther et Madiba, l’entraîneur de Jackson, débarquent tour à tour dans le resto où il travaille, la proximité du monde olympique a déjà de quoi l’étourdir. Quel n’est pas son bonheur quand, de fil en aiguille, sa route croise celle du champion lui-même. Une étoile frôle sa vie, brillante au passage, mais cédant vite la place aux ténèbres.

Dans le même temps, l’auteur dépeint l’univers olympique à partir d’observations personnelles et pertinentes, ce qui lui permet de tricoter des arnaques internes tout à fait crédibles, qu’il s’agisse du travail louche effectué par le laboratoire de dépistage ou encore d’une scabreuse opération de camouflage organisée par nul autre que le président du CIO. Les Jeux proposés ici, bien que parfois proches de la caricature, ne perdent rien en véracité: «J’aime le sport depuis toujours. J’en ai fait un peu, et surtout, depuis dix ans, j’ai été associé à la plupart des grands événements sportifs. C’est un peu entré dans ma culture. A force de côtoyer des athlètes, des entraîneurs, de voir les événements de proche, j’ai fini par acquérir une bonne compréhension du domaine.»

A l’été 1996, l’idée a germé: «J’ai commencé à écrire tout de suite en revenant d’Atlanta, et ça n’est pas un hasard, parce que j’avais à la fois aimé et détesté mon expérience.» Aimé probablement pour les démonstrations athlétiques de haut niveau, devant lesquelles il admet être toujours aussi impressionné; détesté sans doute à cause des problèmes manifestes d’organisation, mais aussi de la teneur de ces Jeux hypermédiatisés, commerciaux et mercantiles comme jamais.

Les gros sous, la mystérieuse «elle» en est friande. Elle va monter un plan diabolique, faire chanter Jackson et plusieurs autres autour d’une histoire de dopage, pour ensuite fixer le prix du silence à une somme astronomique. Jackson, bien conscient d’être entre ses mains comme une souris entre les pattes d’un chat, demeure fasciné: «Il regardait la bête étrange assise devant lui et se demandait à quoi pouvait carburer cette femme dont le cerveau roulait à une telle allure, monté sur un châssis qui aurait renvoyé les grands carrossiers italiens à leurs tables à dessin.»

Smiley traverse l’intrigue, emberlificoté, sans savoir qu’il y joue lui-même un rôle. Si l’aventure l’extirpe d’un terne quotidien, le rêve est de courte durée. L’image nous vient d’un papillon qui se brûle les ailes, attiré puis aveuglé par une lumière forte. Au contact de ce monde nouveau pour lui, des changements s’opèrent en sa personne, qui le mèneront à une révolte incontrôlable et excessive contre ce qu’est sa vie. L’histoire se termine en effet dans la violence la plus crue.

Il est heureux de voir le prix Robert-Cliche attribué à pareil roman. Ça nous change du registre poético-existentiel, souvent intéressant mais dont les rejetons monopolisent quelque peu les lices des prix littéraires majeurs. Ça encourage une littérature vivante et actuelle: «Il y a très peu de romans qui prennent le sport comme sujet, ou comme objet. Je me suis dit "Pourquoi pas?". Et je trouvais intéressant de faire cohabiter les deux, les mégastars qui passent dans notre ciel en un éclair, et à côté, les gens qui sont là, la bouche ouverte, qui les regardent passer et se demandent ce qui leur arrive après.»

Avec une intensité dramatique certaine, qui toutefois n’empêche pas de larges traits d’humour, Smiley fait partie de ces lectures à la fois riches et accessibles à tous.

Smiley
de Michel Désautels
VLB éditeur
1998, 192 pages