Kathy Reichs : L’autre Montréal
KATHY REICHS vit un success story, dans la plus pure tradition du rêve américain. Nous l’avons rencontrée à Montréal, qu’elle habite à temps partiel, mais qui est un personnage entier dans son premier best-seller Déjà dead.
Si Kathy Reichs travaille toujours comme anthropologue judiciaire, c’est pour nourrir son écriture davantage que pour mettre du beurre sur son pain. S’inspirant de son métier, dont l’art est de faire jaser les restants de cadavres, elle a frappé le jackpot en racontant l’histoire d’une femme exerçant sa propre profession, propulsée dans une enquête relativement à des meurtres en série.
Pourtant, Reichs n’a rien d’un vampire, ni d’une femme-flic. On l’imagine mieux avec sa petite pelle, son scalpel, son chapeau pour se protéger du soleil, à genoux dans un carré de sable où l’on tente de comprendre l’histoire des civilisations. Spécialisée dans l’étude des ossements, elle se dirigeait d’ailleurs vers une carrière archéologique, pour extirper les vieux os des entrailles de la terre.
Jusqu’à ce que ses compétences «bio-anthropologiques» ne la fassent bifurquer vers des sites où le but des fouilles est tout autre. On n’y explique plus les origines de la vie, on tente plutôt d’y résoudre l’énigme de la mort. L’héroïne de Reichs, son alter ego, Temperence Brennan, n’aura pas que de la terre sous les ongles, mais également du sang sur les mains.
C’est donc pour lire dans les fragments de squelettes que le commun des mortels croirait muets que Kathy Reichs sera réquisitionnée par les corps policiers. Son expérience d’anthropologue judiciaire servira la SQ, où elle a son bureau à Montréal, dans l’ancienne prison Parthenais, la GRC, le FBI… Lors de sa première collaboration avec les flics, les ossements qu’elle analysera, retrouvés dans une fosse septique, se révéleront d’origine… porcine! L’Américaine, qui partage depuis près de dix ans ans son temps entre la Caroline du Nord et Montréal, ne tardera pas à déduire que sa science, très peu pratiquée (trois au Canada, une quarantaine en Amérique du Nord), est un maillon, méconnu d’un public avide d’informations et de sensations fortes, dans la chaîne de l’enquête criminelle post-moderne.
Après avoir publié trois livres destinés à la communauté scientifique, relatant les conclusions de ses études de cas, Reichs, grande lectrice qui ne dédaigne pas la fréquentation de la littérature policière, décide de plonger dans l’écriture de fiction, pour s’évader de la confidentialité du milieu universitaire, tout en poursuivant son ouvre d’éducation dans le cadre plus divertissant du polar.
Et elle explique ainsi l’engouement des lecteurs pour l’investigation scientifique: «On parle d’ADN dans les médias, souligne Kathy Reichs… Pensons au procès d’O.J. Simpson. Les diagnostics rendus par les spécialistes qui interprètent les indices biologiques légués par un cadavre ont transformé les enquêtes classiques des policiers. Aujourd’hui, les lecteurs veulent savoir de quoi il s’agit "scientifiquement". Et je peux les assurer que le contenu scientifique qui nourrit mes intrigues est véridique. Parce que les observations, les conclusions que j’expose dans mon roman sont puisées dans des cas réels que j’ai analysés au fil des années.»
La science de l’art
Il y a une vague de fond qui déferle sur la littérature policière, qui n’est pas sans déplaire aux comptables des éditeurs, où le détective mâle macho n’est plus qu’un exécutant, qui a perdu son flair légendaire, au profit du savoir de la scientifique femelle émancipée! Les nouvelles reines du polar ne prennent plus le thé à cinq heures. Non, elles bossent dans les laboratoires. Et elles trônent au sommet des ventes à l’échelle planétaire. Parlez-en à Patricia Cornwell et sa très lucrative médecin légiste, Kay Scarpetta… Kathy Reichs insiste pour préciser que sa Temperence Brennan n’est pas médecin légiste, mais anthropologue judiciaire, histoire de prendre quelques distances avec sa compatriote, à qui on l’a beaucoup comparée.
Chose certaine, la popularité de la tendance se maintient, comme le confirme le succès météorique de Reichs. Une ascension au firmament de l’industrie de la littérature qui a débuté comme un conte de fées. «J’ai été totalement naïve, raconte Reichs. J’ai envoyé mon manuscrit à un éditeur important, sans avoir établi aucun contact. En agissant ainsi, les probabilités d’être publiée sont d’une sur des millions! Mais une semaine plus tard, j’ai reçu un appel de cette maison d’édition. Ils voulaient le livre; et ils en redemandaient.»
Même si le style d’écriture est un peu clinique, cliché, fade, la mécanique est efficace à mort, et la facette pédagogique est des plus instructives. Commercialement, ce fut tout un investissement! A peine un an après sa parution, le roman est traduit en dix-neuf langues et on finalise les négociations pour une adaptation cinématographique ou télévisuelle. Après avoir hanté pendant quelques mois les listes des meilleurs vendeurs à New York, Londres, Toronto, Dublin, Déjà dead frappe de nouveau en format poche, retrouvant son chemin vers la cime des palmarès mondiaux, repartant à la conquête de l’Italie, l’Allemagne, la Hollande, la Finlande…
Nouveau Montréal
Et tous ces lecteurs avides découvrent aussi l’autre personnage du livre: Montréal, en chair et en os! Car le cimetière vivant où l’anthropologue a choisi d’installer sa Temperence Brennan est cette ville qu’elle a apprivoisée, qu’elle adore et qui le lui rend bien. Ce Montréal sera de nouveau le site archéologique de ses prochaines investigations. C’est devenu la résidence permanente de son imaginaire. «Montréal est une ville fabuleuse pour situer mes histoires. C’est un lieu unique, à cause entre autres de cette cohabitation entre francophones, anglophones et immigrants. Il y a un charme que je n’arrive pas à définir; il y a une vie, une chaleur, même si je déteste l’hiver! Je suis une fille du Sud, de la Caroline. Et, pour les lecteurs américains, qui ne sont pas toujours friands d’aller voir ce qui se passe dans la cour des voisins, Montréal représente un lieu à la fois familier et exotique. J’ai trouvé en Montréal mon terrain de jeu d’écriture. J’adore un écrivain comme James Lee Burke, parce que la Louisiane est complètement incarnée dans les enquêtes de Dave Robicheaux. J’aime aussi investir un lieu. Ce doit être une déformation professionnelle!»
A la veille de la sortie de la traduction japonaise de son petit premier, la pression est forte sur Kathy Reichs. Mais cette semaine, elle vient de recevoir de son éditeur les épreuves du deuxième volet des enquêtes de Temperence Brennan, dont la parution en version originale est prévue pour le printemps prochain. Et elle est soulagée: on lui a dit que le nouveau était meilleur que le premier. Notre anthropologue judiciaire d’adoption nous en mijote déjà un troisième…