Parc universHugues Corriveau : Jardin d’enfants
On ne peut pas dire que l’écrivain Hugues Corriveau, poète, nouvelliste et romancier de premier plan, facilite la tâche du lecteur. Toujours exigeant, écriture ciselée, structure complexe, il réussit pourtant, par mille subterfuges, à nous entraîner sur des terrains minés. Et là, nous assène le coup de grâce. Avec Parc univers, son quatrième roman, c’est un véritable tour de force qu’il accomplit, et le lecteur, la lectrice qui le suivra jusqu’au bout n’en sortira pas indemne. Il y a des ouvres, ainsi, qui nous travaillent en profondeur et nous mettent K.-O.
Prolifique, l’auteur, entre autres, des recueils de nouvelles Autour des gares et Courants dangereux (Éd. L’instant même, 1991 et 1994), qui lui valurent respectivement le prix Adrienne-Choquette 1991 et le Grand Prix littéraire 1996 de la Ville de Sherbrooke, a aussi donné près d’une dizaine de recueils de poésie. Côté roman, il se fait plus rare: il y eut Rose Marie Berthe en 1979, puis un roman complexe et fascinant, Les Chevaux de Malaparte (Éd. Les Herbes rouges, 1988), et plus récemment, La Maison rouge du bord de mer (Éd. XYZ, 1992), qui fit couler beaucoup d’encre et pour lequel l’écrivain reçut le prix Alfred-DesRochers.
On n’en finirait pas de retracer dans l’ouvre d’Hugues Corriveau les rapports à l’enfance, qui la traverse de part en part. Sa poésie en est pleine, un recueil porte même ce titre, L’Enfance (Éd. du Noroît, 1994), et le plus récent, Le Livre du frère (Noroît, 1998), en venait directement. Enfance souffrante, sulfureuse, difficile, abusée. Parc univers ne fait pas exception. Est-ce à dire que l’écrivain écrit toujours le même livre? L’affirmer serait oublier tout le travail formel, l’arrachement de la réalité à la langue, l’élaboration d’une manière de raconter qui est le vrai travail de l’écrivain. Ce qui, ici, atteint une sorte de limite.
Un écrivain assis dans le parc La Fontaine relit son roman, que son éditeur vient de lui remettre. En parallèle, des pages de ce roman nous sont livrées, alors que leur auteur observe la vie de quelques personnages autour de lui. Florence l’infirme et Marguerite son infirmière, qui ont signé un pacte de détestation du monde, Armand le long, Hermès le fou, qui «déparle» des vérités qui tuent, et Céleste l’itinérante d’Italie et le gros Poincaré. L’écrivain observe, lit, et étrangement son roman déroule la même histoire qui va bouleverser la petite communauté du parc.
«Florence pressent que le gros homme mordra les enfants de la cour d’école, qu’il en prendra un, roi des aulnes, vicieux désirs, homme mou. Il y aura du sang dans l’allée, des couteaux jetés entre des jambes, des cris à déterrer les morts. Des mères se perdent parmi les buissons. Le coureur ne peut faire autrement que de se casser une jambe. Les amours de Marguerite sentent l’après-rasage, celles de Céleste la démence.»
On entre difficilement dans ce Parc univers. Ils ne sont pas beaux, ils sont méchants, ces personnages. Sales et rebutants. Ils ont des souvenirs d’ailleurs, d’Italie, de France, ce qui nous les rend encore plus étrangers. On préférerait fuir comme ces dames d’Outremont qui s’y sont égarées. Mais on ne peut pas, les mots de poète du romancier nous retiennent. Sa chronique d’une tragédie annoncée nous interpelle. L’énigme s’éclaircit, prend la couleur d’une douloureuse et violente réalité. Et alors, son parc imaginaire nous devient tout proche, on ne peut plus se soustraire à l’image de l’enfant mort, pauvre innocent sacrifié.
Parc univers
d’Hugues Corriveau
Éd. XYZ, 1998, 180 pages