Chrystine Brouillet : Cha-cha-cha
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Chrystine Brouillet : Cha-cha-cha

Les fans de polar, les marmots et les ados, les gourmets et les accros de sagas historiques n’ont peut-être qu’un point en commun: ils lisent CHRYSTINE BROUILLET! Son nouveau roman, Les Neuf Vies d’Edward, les convie à un banquet où il y en a pour tous les goûts. Nous avons rencontrée l’auteure chez elle, à Montréal, avec son chat Valentin, à qui elle dédie ce livre.

Véritable PME qui assure, bon an, mal an, la publication d’au moins deux bouquins, Chrystine Brouillet demeure une artisane de la littérature même si elle pratique le métier de l’écriture à un rythme presque industriel.

Poursuivant avec succès, depuis plus de quinze ans, l’exploration de la diversification des genres, la créatrice des aventures morbides de l’inspecteur Maud Graham met encore plus de couleur dans sa vie (ses neuf vies), et prouve qu’il est faux de prétendre que, la nuit, tous les chats sont gris. «J’ai une écriture plus économe dans un roman policier, de nous préciser Brouillet. Et l’héroïne de mes polars est plutôt grise. Mais avec ce nouveau roman fantaisiste, la sensualité est devenue très importante. J’ai essayé d’avoir une écriture plus caressante, plus enveloppante. C’est la lumière des poils de chat au soleil qui rayonne!» Pas de place pour que les souris dansent! Pas la place, non plus, pour bouder son plaisir…

Dans Les Neuf Vies d’Edward, le principal protagoniste est donc un chat, qui se faufile d’un lointain hier à un très actuel aujourd’hui, depuis l’Égypte jusqu’à Paris, en passant par Londres et Istanbul, sans oublier la Nouvelle-France… Edward-le-chat relate, en regardant derrière lui, quelques fragments de ses huit vies antérieures, entre les cicatrices qui l’ont meurtri et les crevasses qui ont ridé l’Histoire, et s’implique, très activement, dans celle de Delphine, la maîtresse qui partage sa neuvième et dernière vie.
Ça pourrait sentir le Lassie réchauffé, puer le bestiaire cucul sentimental à la Disney, esquisser une mythologie à la crème chantilly; bref, nous faire oublier qu’il y a dans ce roman de vrais chats à fouetter. Mais Brouillet gagne son pari: celui de nous divertir sans masquer les bassesses de l’âme humaine. N’allez pas croire que l’on sombre dans la littérature de combat! Mais cette fantaisie hédoniste évite heureusement le piège du merveilleux et du magique à tout prix! Edward, cette féline machine à voyager dans le temps, nous rappelle que l’être humain n’a jamais été, pas plus qu’il ne l’est devenu, foncièrement bon… Ce roman est loin d’être une invitation à la déprime pour autant. Parce que le caractère jouissif prédomine.

Un chat dans la gorge
Mais le lecteur doit travailler pour prendre son pied; et Chrystine Brouillet a trimé dur pour que cette cascade kaléidoscopique coule de source. «Ç’a été pour moi le roman le plus difficile à écrire. D’abord, il fallait que je pense en chat, qu’il devienne un personnage crédible, que je retourne dans ses vies antérieures sans les enfiler banalement l’une après l’autre. Il ne s’agit pas des récits consécutifs des neuf vies d’un chat. C’est plutôt comme nous pensons: cacophonique, anachronique, morcelé. Je me suis demandé comment fonctionnait la mémoire d’un chat. Est-ce à travers ses différents maîtres? On dit que les chiens ont une mémoire olfactive de cinq ans; ils reconnaîtraient quelqu’un ou quelque chose qu’ils ont senti il y a cinq ans. Je me devais de penser comme ça. Je fixe souvent les yeux de mon chat, Valentin, et j’essaie de comprendre ce qui se brasse dans sa tête. J’adore les animaux! Tellement que j’ai même eu tendance à idéaliser les maîtres qui ont ponctué les vies de mon héros. Je me suis aperçu qu’ils étaient tous éminemment sympathiques. Ils n’avaient aucun défaut! Heureusement, j’ai pris conscience de ma mauvaise foi. J’ai eu un doute; Hitler aimait peut-être les chats.»

Trente millions d’amis
Chrystine Brouillet loge à plus d’une enseigne: polar, jeunesse, France, Québec. Publié cette fois chez «son» éditeur français, Denoël, il ne s’agit quand même pas d’un choix stratégique pour toucher un peuple réputé «grand ami des bêtes». Même que l’essentiel du récit du roman, au cours de la dernière vie d’Edward, se passait au départ à Montréal. Mais la réalité a rattrapé la fiction. «Ça se déroule à Paris, parce qu’on n’a pas, au Québec, un service vétérinaire d’urgence à domicile, dont j’avais absolument besoin dans le roman. Et je l’ai vite appris. Je venais tout juste d’emménager dans une nouvelle maison, sur le Plateau Mont-Royal. Mon chat, Valentin, se réveille dans la nuit; je me lève, et comme je ne connais pas encore bien la maison, je trébuche dans l’escalier et je tombe sur le chat. Je l’ai retrouvé dix pieds plus loin, baignant dans une mare de sang. Ç’a été la pire nuit de ma vie…»

Dans le roman, la réalité a inspiré la fiction. Edward simule la maladie pour faire venir le vétérinaire, et ainsi trouver un chum à Delphine, sa maîtresse. «C’est bien sûr parti de Valentin, d’avouer Brouillet. Je vis avec lui depuis dix ans, et c’est le poème de ma vie. Sauf que mon chat ne me cherche pas de chum! Je pense qu’il apprécie davantage de ne pas avoir à partager! (rires) Et il n’y a pas de parenté autobiographique entre Delphine et moi; c’est une femme triste, elle a manqué de la chose la plus importante dans une vie: l’amour de sa mère. Son rapport avec les gens est très méfiant, suicidaire, elle ne se donne pas de chances, elle brûle la chandelle par les deux bouts. Je n’ai pas ce genre de caractère; je suis une imbécile heureuse!»

Les Neuf Vies d’Edward
de Chrystine Brouillet
Éd. Denoël, 1998, 332 p.