La Source cachéeHella S. Haasse : Eaux profondes
Réputée, avec raison, pour publier des romans de grande qualité, la maison d’édition Actes Sud fête ses 20 ans d’existence en nous offrant quelques titres à prix modérément raisonnables (jusqu’au 31 décembre seulement, après quoi ça remonte dans les sphères habituelles), dont La Source cachée (à 20, 95 $), de Hella Serafia Haasse.
Les lecteurs qui connaissent l’ouvre de la romancière néerlandaise pourront se réjouir d’ajouter à leur collection ce nouveau titre traduit en français (par Anne-Marie de Both-Diez), en réalité un des tout premiers romans de l’auteure, paru à l’origine en 1950. La marque des préoccupations qui chevauchent l’ensemble de l’ouvre (environ une trentaine de titres – fictions, essais, romans historiques -, qu’on traduit en français depuis 1988) y est vraisemblablement déjà bien nette. Comment et pourquoi les êtres sont-ils configurés de telle ou telle manière? Peuvent-ils, découvrant leurs désirs et leurs déceptions, remédier à leur mal? La création est-elle salvatrice ou est-elle cruelle? Questions qui peuvent assurer un développement pesant, écrit mille fois, sans finesse, mais qui, sous la plume de Hella Haasse, à la manière des plus grands, se fondent savamment dans une histoire, des personnages, une vie.
C’est l’été 1937. Un couple de chimistes extraordinairement désassorti, Jurjen et Rina, se sépare momentanément après huit ans de vie commune afin que Jurjen, que sa femme accuse d’inutiles circonvolutions littéraires, se refasse une santé. Il s’exile donc pour un temps dans la maison de campagne où a grandi sa belle-mère, et en profite pour écrire à l’abri de Rina le compte rendu de ses aventures, de ses découvertes, et de ses réflexions sur l’acte de création.
C’est peu dire qu’il forme avec sa femme un couple désassorti. Rina, c’est l’ennui, la rigidité, la perfection aseptisée; alors que lui-même, Jurjen, est assoiffé d’expériences, curieux de chaque détail de la nature et de l’être, un homme complètement absorbé par le besoin de créer («la puissance créatrice est un don du ciel, une grâce – le seul miracle que je reconnaisse»).
Alors que Hella Haasse semble donc vouloir entraîner le lecteur vers cette révélation divine qu’appelle Jurjen – le mystère de la source inspiratrice enfin dévoilé -, une histoire parallèle s’empare du roman: Jurjen se mettant en frais de découvrir pourquoi sa belle-mère, artiste peintre, a subitement disparu lorsque Rina était toute petite, faillant à pourvoir l’indispensable amour maternel.
Comme dans de précédents romans, Hella Haasse avancera dans son scénario somme toute assez classique (l’effet de la révélation d’un secret sur les personnages) en empruntant diverses voies qui l’enrichiront. Ainsi les énigmes que rencontre Jurjen sur son chemin, qu’elles se rapportent à l’acte de création ou à l’histoire de la famille, seront vues par la lorgnette de l’habile écrivaine; un peu psychologue, un peu philosophe, un peu flic, et très rusée.
Peu à peu les deux récits seront totalement imbriqués: la source de l’amour, la source de la création. Imbriqués ou se repoussant, inconciliables? Toute la question de La Source cachée est là. Car «celui qui porte en lui ce désir d’éternité, cette soif d’abolir la fugacité de son existence terrestre par un acte créateur – celui-là ne peut pas, en dernière analyse, distinguer entre ce désir et l’amour».
Simplement intense.
La Source cachée
de Hella S. Haasse
Éd. Actes Sud, 1998, 141 p.