SmileyMichel Désautels : Jeux de rôle
Michel Désautels aura fait mentir Pierre de Coubertin. A son premier essai dans le monde romanesque, l’animateur de Radio-Canada ne s’est pas contenté de participer: il a remporté le controversé prix Robert-Cliche. S’il ne consacre pas une découverte dans le sens usuel du terme (après tout, Désautels est un romancier débutant, mais il est loin d’être un inconnu), son Smiley a au moins le mérite de redonner un peu de tonus à un prix fort dévalué depuis quelques années. Le journaliste n’avait sans doute pas besoin de cet honneur pour être publié, mais je ne suis pas sûr que le prix pouvait se passer de cette notoriété…
Michel Désautels s’est fait la main romanesque sur un bouquin simple, cohérent, efficacement mené. Pas un grand roman; mais une ouvre qui démontre d’indéniables qualités. Ce qui est rafraîchissant, dans Smiley, c’est que ce court récit à la frontière du roman noir et du reportage social tourne son regard résolument vers l’ailleurs. On ne trouvera pas même l’ombre d’un Québécois dans cette histoire qui nous entraîne sur les terrains pas très propres de l’olympisme, et qui porte sur l’envers du rêve: l’olympique et l’américain, dans une double trame souvent habile, bien que pas toujours subtile.
Autour de Smiley, gentil serveur noir piégé par l’abus de pouvoir d’un sale flic blanc, le roman raconte les tractations de trois personnages ambitieux aux Jeux d’Atlanta, en 1996: un journaliste allemand, son ex-maîtresse, la ravageuse Elle, seule femme du livre, qui demeure délibérément dans le flou, comme le fantasme qu’elle est – clin d’oil aux femmes fatales des romans noirs? -, et le futur roi présumé du 100 mètres. Toute assurance à l’extérieur, et insécurité à l’intérieur, le sprinter (qui n’est pas sans évoquer Donovan Bailey, notre beau champion à l’arrogance et au sourire éclatants, qui lava en moins de dix secondes l’honneur national) sait qu’il n’aurait pas pu atteindre les plus hautes marches du podium sans l’«aide» d’un médecin alchimiste. Or, il y a péril en la demeure…
Désautels montre aussi bien le cynisme («une grande machination») recouvrant le monde olympique qu’il nous fait ressentir l’exaltation liée au geste sportif lui-même: «(…) ce qu’il cherchait dans le fond de sa mémoire, c’était la boule de feu et de miel dans l’estomac qui montre bien que l’on est sur le point de s’arracher du monde. (…) Et quand cette boule grossit, savoir que l’on peut presque voler, sans sentir de douleur, entrer dans un monde poétique, pur, parfait». Si la peinture sociale n’est pas exempte de simplisme, les descriptions sportives – on ne s’en étonnera pas – sont des plus réussies, avec juste ce qu’il faut de réalisme et d’élan métaphorique. L’auteur s’est par ailleurs «lâché lousse» dans les (rares) scènes érotiques, aussi extravagantes que torrides…
La lecture en est agréable, portée par un style limpide, peut-être un peu trop propre, mais non dépourvu de personnalité. N’empêche que cette entreprise romanesque resterait bien légère, flottant au-dessus des événements et des gens avec une sorte d’ironie abstraite d’étranger (déformation journalistique, peut-être), n’eût été de la naïve figure centrale. C’est Smiley, le négligé de cette course à la fortune et à la gloire, dont les autres se servent sans qu’il en soit ultimement récompensé, qui donne au roman un peu d’épaisseur tragique. Son destin touche, même s’il incarne jusqu’à l’extrême, dans son surnom même, le bon Noir américain qui veut s’en sortir, et que l’indifférence et le racisme ambiants condamnent à l’impuissance. C’est là, surtout, que Désautels quitte le terrain journalistique pour embrasser le romanesque.
Smiley, de Michel Désautels
Éd. Vlb, 1998, 184 p.