Deux disques viennent de sortir qui donnent le goût de redécouvrir le pouvoir des mots. L’un chante Gaston Miron, l’autre célèbre les «Mots dits», ou spoken word, que défendent depuis quatre ans les soirées-cabaret La Vache enragée.
Miron vivant
L’événement est de taille: deux ans après la disparition de Gaston Miron, une jeune femme passionnée de théâtre et de poésie, interprète fameuse entourée de musiciens de première qualité, investit la parole du poète. Nathalie Lessard et ses Têtes de contre, avec le CD Tout un chacun, proposent une interprétation différente, émotionnellement très forte, tout en étant fidèle au modèle de l’auteur de La Marche à l’amour.
Bien sûr, Miron aux mots claquants, tonitruant, tapant du pied et chantant, reste inoubliable. Mais tout à coup, avec Nathalie Lessard, il revit autrement, projeté dans un avenir à portée de voix, dans un présent bien immédiat, douloureux et passionné. C’est de nous, à nous, au monde, que ses mots parlent. Rien de ridé, comme une parole qu’on tarde encore à entendre. Comédienne, l’interprète dit, vit les textes, on croirait qu’elle les chante. Portant le tout avec ironie et violence, une émotion déchirante et la tendresse qu’il faut, elle nous assène Miron.
Et c’est sa génération, qui a vingt ans aujourd’hui, qui hurle, c’est l’avenir sans illusion des jeunes qui s’exprime dans cette poésie. Qui l’eût cru? «Les raqués de l’histoire, batèche», ce sont eux. Il faut dire que les musiques des compositeurs André Daneau (aux voix, harmonica et podorythmie) et Philippe Mius d’Entremont (à la basse et au violoncelle), orchestrées par Philippe Venne, collent parfaitement, suivent, enrobent, supportent, devancent, propulsent la voix et les mots. Puisant au folklore, résolument actuelle, la trame musicale est pour moitié dans la réussite exceptionnelle de ce disque.
S’y ajoutent aussi des artistes invités: Julos Beaucarne venu dire en wallon le poème Jeune Fille, Nathalie Tremblay, Armando Santiago et Yzabel Beaubien entremêlant à la version française de La Marche à l’amour des traductions en italien, en portugais et en anglais, donnant à ce poème d’amour magnifique une portée universelle indéniable. Il ne faut pas oublier que Gaston Miron, seul écrivain à avoir mérité des funérailles nationales au Québec, a été un ambassadeur de la langue québécoise partout dans le monde; et traduit, il est le poète d’ici le plus connu et le plus lu. Peut-être l’est-il moins dans son propre pays?
Avec Tout un chacun, qui mérite un succès plus large que réservé aux amateurs de poésie, Nathalie Lessard et ses acolytes nous font comprendre que le poète mort, c’est maintenant son ouvre qui va se faire entendre. Et pour longtemps. Il faudra désormais les voir sur scène…
La Vache enragée
A entendre et à lire le CD-livre, anthologie no 2, de la série des soirées «La Vache enragée», organisées au Cheval blanc depuis quatre ans par Mitsiko Miller, la relève de la parole poétique haut portée semble assurée. Dans la tradition anglophone du spoken word, qu’on traduit ici par les «Mots dits», une vingtaine de poètes renouent avec l’oralité. Poésie urbaine, urgente et directe, dérangeante. Et bilingue: on alterne les textes en français et en anglais. Hélène Monette, Christine Germain, Geneviève Letarte, Ian Ferrier, Jean-Paul Daoust, Hugh Hazelton, Patricia Lamontagne et Stéphane Despatie en sont. Les textes d’autres poètes sont reproduits dans le livret accompagnant le CD: France Boisvert, Robbert Fortin, D. Kimm, entre autres. Pour la suite du monde… Éd. Planète Rebelle.