Nationalité et ModernitéDaniel Jacques : Nouveau monde
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Nationalité et ModernitéDaniel Jacques : Nouveau monde

Daniel Jacques est l’une des figures les plus intéressantes de la nouvelle génération d’intellectuels actuellement en train de prendre la place laissée par les grands pontes de la Révolution tranquille. Avec Nationalité et modernité, il continue une entreprise de réflexion et de critique commencée avec Les Humanités passagères (Éd. du Boréal, 1991), et ponctuée par un savant commentaire sur Tocqueville et la Modernité (Éd. du Boréal, 1995).

Au Québec, lorsqu’on prononce les mots «politique», «société» et «histoire» (pour évoquer le sous-titre de la revue Argument qui, dirigée par Daniel Jacques, vient de faire paraître son premier numéro), il est un quatrième terme qui surgit: «nation». La question nationale est toujours plus ou moins explicitement au cour de tous nos débats de société. Mais, selon Jacques, on ne saurait plus la poser comme on le faisait dans les années soixante; en tout cas, on ne doit plus l’assimiler (comme le font encore patrioteux et partitionnistes) à la séculaire chicane entre «maudits Anglais» et francophones en péril.

Effort collectif
Que doit-on entendre aujourd’hui par le concept de nation? Telle est la question que pose Daniel Jacques dans Nationalité et Modernité. Il s’agit bien ici de discuter de nationalité: du fait national, et non de nationalisme: de cet amour de la patrie qui fait, dans les mots de Georges Brassens, «les imbéciles heureux qui sont nés quelque part»… Pour répondre à la question, Daniel Jacques esquisse une histoire du concept moderne de nation. Du XVIIe siècle à nos jours, Nationalité et Modernité présente et commente les multiples facettes de l’idée de nation chez Pascal, Hobbes, Rousseau, Constant, Tocqueville, Nietzsche, etc.

Essentiellement, Daniel Jacques démontre que la problématique moderne de la nation est directement liée à l’invention de l’individu. L’individualité se paie au prix d’une certaine impression de solitude qui conduit à la recherche de façons de se regrouper: de renouer avec une certaine collectivité. Qu’elle soit fondée sur une commune appartenance politique, sociale ou (dans les cas les plus odieux) ethnique, la nation est un des moyens que nos sociétés ont avancés pour trouver un point commun à ce qui n’est autrement qu’une masse d’individus. D’ailleurs, «la société de masse, écrit Daniel Jacques, est à peine une forme sociale, puisqu’elle se caractérise précisément par l’absence de lien social».

On comprendra que l’analyse présentée par Nationalité et Modernité n’est pas faite pour ceux qui carburent aux slogans et aux mots d’ordre. Il reste que les amateurs de drapeaux ne seront pas tout à fait déçus. Le principal propos de l’ouvrage consiste en une forme de réhabilitation de l’idée de nation, dans laquelle Daniel Jacques voit, entre autres, une réponse au corporatisme anonyme et impersonnel de la mondialisation. La nation se fait l’expression d’un «désir d’être ensemble» par lequel on tente de «combler le vide d’appartenance créé par le libéralisme au moyen d’une affirmation renouvelée de l’inscription de tout individu dans la communauté nationale».

Force est de constater qu’au Québec, la ferveur nationale est pour le moins moribonde. Mais au lieu de proposer une alternative à la vieille solidarité ethno-linguistico-religieuse qui a cimenté nos revendications depuis plus d’un siècle, Nationalité et Modernité s’adonne à une sorte de face-lift de l’idée de nation. Et le temps serait venu de… changer de tête!

Nationalité et Modernité
de Daniel Jacques
Éd. du Boréal, 1998, 269 pages