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Poésie : La vie et rien d’autre

Deux poètes, deux regards, deux recueils foisonnants. Avec L’Orange vide, sous-titré Pelures d’un journal, c’est presque une anthologie que nous offre José Acquelin, en sept sections regroupant des pensées, des aphorismes, des textes courts écrits entre 1973 et 1997. Le livre, touffu, illustre de façon étonnamment cohérente la recherche d’un art de vivre sous l’immensité du ciel et sur la terre. Quant à Herménégilde Chiasson, digne représentant de la modernité acadienne, mariant oralité et écriture, il propose, dans Conversations, pas moins de mille répliques – 999 en fait, la millième étant à imaginer. Vaste clameur de voix qui redisent le monde.

«La grille autour du cimetière nous enferme, nous, dans le royaume des vivants», écrit José Acquelin avec cette façon bien à lui de retourner le gant de l’existence. Conscient que «la poésie n’a même pas la place qu’a la nécrologie dans tous les journaux», amoureux zen de la vie, il fait son chemin à travers les mots, réfléchissant sur papier: «Un jaseur de poèmes est un jaseur, un jaseur de bohème est un oiseau. Que le style soit un télescope, une loupe, un microscope, je ferme les yeux: j’écoute ce qui n’a pas encore commencé de faire du bruit et ce qui n’a pas de table de matières.» Le silence, la lumière, le temps, rien, le vent, l’air, le vol d’un oiseau, la simple présence deviennent impératifs.

Un brin contemplatif, vaguement moraliste, José Acquelin est un habile manipulateur de mots et de nuages, dont la lecture apaise et réconcilie: «Le jour s’en va, la terre tourne sa rondeur vers le placard ouvert de l’univers. Tout à l’heure ne veut rien dire. J’écris toujours pour mieux m’effacer devant le mystère du simple. On peut aussi appeler cela la prière du disparaître. Et elle opère si fort qu’elle se résume à un merci.»

Créateur prolifique, poète, cinéaste, auteur dramatique et artiste visuel, Herménégilde Chiasson poursuit, après Vous (Éd. d’Acadie, 1991, prix France-Acadie), Miniatures (Éd. Perce-Neige, 1995), Climats (Éd. d’Acadie, 1996) et d’autres recueils, une exploration poétique toujours déroutante. Conversations est comme un long texte théâtral: des gens, «elle» et «lui» mais pas un couple, plusieurs «elle» et «lui», prennent la parole, le temps d’une idée, d’une phrase. A propos de tout et de rien. On y entre sans méfiance, puis on se laisse envahir par ce long soliloque à plusieurs.

Les mêmes préoccupations, le passage du temps sur nos vies, la vie moderne qui sacrifie les valeurs humanistes, le sens des idéaux dans l’histoire, la vérité des amours, l’hiver, le pays hantent le poète depuis longtemps.

«310. Elle: Il me faudrait la preuve écrite de votre vie bel et bien vécue ainsi qu’une confirmation, signée de votre main, attestant votre envie de vous rendre sur les lieux mêmes où l’on se chargera de faire mention de vos rêves et de vos états d’âme.»

Plus dans l’action que dans la contemplation, ce poète-là désire prendre en charge l’ampleur des rêves des hommes, et marcher vers l’avenir. Il veut tenter l’impossible: «378. Lui: Remettre de l’ordre dans le flot du monde, dans son incessante confusion, son brouillon désolant, son insondable complot, son indésirable absence.» Du quotidien de l’intimité aux désastres de l’autre bout du monde, il n’y a pas de distance: «461. Elle: Au loin, l’écho terrible du cri des enfants que l’on soumet à la torture; nous avons mis deux pansements sur une immense affiche, vous ne voulez pas signer notre pétition.»

L’Orange vide
de José Acquelin
Éd. Les Intouchables, 1998, 176 pages

Conversations
d’Herménégilde Chiasson
Éd. d’Acadie, 1998, 156 pages