Jean-Jacques Pelletier : Le vif du sujet
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Jean-Jacques Pelletier : Le vif du sujet

JEAN-JACQUES PELLETIER est en passe de devenir un écrivain-culte. Cet enseignant québécois, qui vit à Lévi, rallie des milliers de lecteurs autour de ses histoires captivantes oscillant entre le roman d1espionnage et le thriller. Une «pointure» qu1il serait grand temps de  découvrir…

Depuis la parution de L1Homme trafiqué (Éd. Le Préambule) en 1987, le nombre de lecteurs de Jean-Jacques Pelletier n1a cessé de croître. Mieux que ça, chacun des livres de l1auteur, professeur de philosophie au cégep Lévis-Lauzon depuis 29 ans et membre de plusieurs comités de gestion de caisses de retraite, est attendu avec impatience.

Sans aucun doute, les fans de Pelletier ont hâte de retrouver les nombreux personnages qui reviennent d1une histoire à l1autre: l1énigmatique F, Claudia, Bamboo, Blunt (son précédent roman s1intitulait Blunt ou les treize derniers jours). Ou bien de découvrir à quelles nouvelles aventures ils seront mêlés.

Dans La Chair disparue, son quatrième roman et premier volet des Gestionnaires de l1Apocalypse, l1auteur nous entraîne dans un thriller sur les mafias et la mondialisation, la multiplicité, l1action zen et l1art. «La Chair disparue fait partie d1une série de quatre romans portant sur la mondialisation mais du point de vue des mafias, explique Jean-Jacques Pelletier. Pendant que les gens se demandent si l1on doit oui ou non se lancer dans cette aventure, les mafias sont, elles, très avancées dans ce processus. Au fond, la mafia, c1est une multinationale moins quelques principes…», ajoute l1auteur, sourire aux lèvres.

L1écran humain
L1histoire débute en 1996. John Paul Hurtubise, un agent de l1International Information Institute, vient de démanteler Body Store, un réseau international de trafic d1organes établi en Thaïlande. Le succès de sa mission lui vaut de terribles représailles: ses enfants sont vidés de leurs organes et ses proches, éliminés. F, la directrice de l1Institut, le fait rapatrier d1urgence aux États-Unis: il est en possession d1informations cruciales pour mettre la main sur les dirigeants de Body Store. Coup de théâtre, le choc des événements ayant profondément traumatisé Hurtubise, il présente tous les symptômes du syndrome de personnalités multiples.

Deux ans plus tard, alors qu1Hurtubise, devenu Paul Hurt, apprend à vivre avec ses différents «alters» dans sa tranquille résidence de Lévis, une série de meurtres et d1enlèvements surviennent à Québec et à Montréal. Ce que F avait prédit se confirme: les mafias s1unissent à l1échelle mondiale, et elles ont choisi le Québec comme plaque tournante de leurs activités.
Pelletier ne s1en cache pas, l1écriture, pour lui, poursuit un but éducatif. Déformation professionnelle? «J1écris pour découvrir la réalité à travers la fiction, explique-t-il. Moi-même, j1ai appris l1existence de la paléontologie, de l1archéologie et de la cybernétique en lisant Bob Morane, dans ma jeunesse. D1ailleurs, je pense qu1il est possible d1apprendre sans que cela soit détestable. Les gens tiennent à tout catégoriser, c1est pourquoi ils sont surpris d1appendre qu1un prof de philo écrit des thrillers. Cela dit, les questions sur la 3réalité2, sur l1identité ne sont-elles pas d1ordre philosophique?»

Pour Pelletier, l1écriture de thrillers est l1occasion d1intégrer une foule de sujets pouvant paraître disparates. «On me demande fréquemment comment je fais ma recherche. Elle s1effectue souvent sans que je m1en rende compte puisque je suis très curieux et que je m1intéresse à beaucoup de choses différentes. Par exemple, ça fait plus de 20 ans que je lis sur le zen et le chamanisme. En ce qui concerne la mondialisation, il suffit de suivre les informations pour en savoir plus», estime celui qui consulte régulièrement les journaux de partout dans le monde grâce à Internet.

Roman d1actualité
Justement, les médias prennent une grande place dans La Chair disparue. En ce sens, le roman est «monté» comme un film, entrecoupé par des entrefilets d1informations consacrés par les médias aux événements. Par ailleurs, à chaque début de chapitre, on peut lire un extrait de la Petite dissection de l1art occidental, précis d1art organique de Louis Art/ho, le représentant (dans le roman!) de Body Store au Québec. «La réflexion sur l1histoire de l1art est une des pistes du livre, et elle permet de comprendre Art/ho. Dans le fond, il y a deux artistes dans le livre: Art/ho qui veut 3sculpter2 dans l1humain, et Hurt (également coutelier artisan), qui veut 3humaniser2 le couteau en le transformant en objet d1art, par exemple.»

Pelletier est conscient qu1un roman comptant autant de personnages, avec une intrigue aux ramifications aussi nombreuses, n1est pas toujours facile à suivre. «Il m1aurait été impossible de tous les analyser. Plutôt que d1approfondir la 3réalité du nombril2, je préfère analyser la réalité sociale.»

Et c1est là, la force de Pelletier. La Chair disparue est truffé d1anecdotes nous ramenant à l1actualité récente. Par exemple, la tentative de prise de contrôle de Biosoft, une entreprise de recherche sur le point de faire une découverte fracassante en matière d1informatique, n1est pas loin de rappeler les explosions survenues au cours des derniers mois chez Biochem Pharma. Puis Art/ho qui rêve de «sculpter» dans l1humain n1hésite pas à comparer sa démarche artistique à celle d1Orlan (artiste performeuse française qui pratique des chirurgies plastiques en direct). Sans compter tout ce qui porte sur les contacts de F avec le président américain, les dirigeants du FBI, de la CIA.

Ambitieux et captivant, parfois drôle – grâce aux inspecteurs Rondeau et Grondin, le premier atteint du syndrome de la Tourette, et l1autre d1eczéma aigu, ainsi qu1au groupe de motards bouddhistes-zen, les «Heavenly Bike» -, le roman de Pelletier enflamme notre imagination. C1est avec impatience qu1on attend le second volet des Gestionnaires de l1Apocalypse, qui devrait s1intituler L1Argent du monde, et traiter d1une potentielle prise de contrôle du système financier québécois.

La Chair disparue
de Jean-Jacques Pelletier
Éd. Alire, 1998, 656 p.