Les Jolies ChosesVirginie Despentes : Mémoire d'une jeune fille rangée
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Les Jolies ChosesVirginie Despentes : Mémoire d’une jeune fille rangée

Mémoire d’une jeune fille rangée

Le troisième roman de VIRGINIE DESPENTES, Les Jolies Choses, est écrit, comme ses deux premiers livres, à l’encre noire et rose. Les filles sont-elles bienvenues au pays des hommes?

«Quand on a des yeux comme les vôtres, on se déplace pour parler affaires…» C’est bien ce que fait Pauline, l’héroïne des Jolies Choses, troisième roman de Virginie Despentes, afin de convaincre le «big boss» qu’elle a du talent. Mais heureusement qu’elle sait ce qu’elle veut, sinon la jeune fille se ferait manger tout rond. Car les choses ne sont vraiment pas jolies dans la vie de Pauline.

Tout a d’ailleurs bien mal commencé. Alors qu’elles étaient toutes petites, Pauline et Claudine, deux sours jumelles, vivaient un enfer familial, coincées entre un père brutal et primaire et une mère silencieuse, molle, aussi terrorisée que ses deux filles. Pauline était la préférée, et le père se défoulait sur Claudine: «Je peux pas croire que vous venez du même ventre.»
Lorsqu’elles deviennent adultes, Claudine veut être chanteuse, mais n’a pas de voix; sa sour l’aide à réaliser son rêve, et prend sa place sur scène le temps d’un spectacle. Et c’est Pauline qui fera ce disque tant désiré, qui rendra célèbre le nom de sa sour. Pour cela, elle se fraie un chemin dans un monde difficile, où tout repose sur l’habileté à rendre les sourires, les bons mots, et où le sexe sert parfois (souvent?) de monnaie d’échange.

C’est du moins le milieu que décrit Virginie Despentes, elle qui l’a fréquenté quelque temps, alors qu’elle faisait de la musique dans un groupe punk. Qu’elle règle ses comptes ou non avec le milieu n’est pas ce qu’il y a de plus important dans ce roman, ni d’ailleurs de mieux réussi.
Mais Les Jolies Choses est certainement le meilleur des trois romans de Despentes. Mieux structuré que les deux précédents, le récit est centré sur son héroïne, alors que les autres romans proposaient des personnages moins riches, en tout cas plus unidimensionnels. Ici, Pauline, la fille rebelle et intérieure, nature et même anti-glamour, se retrouve en quelques heures juchée sur des talons hauts, moulée dans des robes qu’elle déteste, obligée de jouer à un jeu qu’elle méprise profondément. «Robe rouge, on voit toute sa poitrine, à croire que c’est une vache, qu’elle exhibe tous ses pis, on voit le haut du cul, là où personne ne devrait voir. Elle tourne sur elle-même avec méfiance devant le miroir. Pincement au cour, ça n’est déjà plus à elle qu’elle ressemble.»

Ce qui sauve Despentes de la caricature (c’était bien sûr le piège à éviter), c’est la voix de Pauline, puissante, omniprésente et terriblement émouvante. De son insolence, de son agressivité et de sa vulgarité, rendues par une langue crue et un rythme saccadé, sortent des images d’une poésie frappante – que l’on retrouvait déjà dans Baise-moi et Les Chiennes savantes.

Comme dans ces deux premiers romans, c’est par le thème de la féminité que Despentes commence le portrait de son personnage féminin et déroule le fil de sa mémoire. Pour Pauline, la féminité n’amène rien de beau, mais n’explique pas non plus la brutalité des hommes de sa vie. Quand elle devient Claudine (des deux, c’est la plus féminine), Pauline est bien obligée de revêtir cette seconde peau.

C’est alors que commence le portrait non plus physique mais psychologique de la chanteuse. Entraînant le lecteur dans les noires pensées de son héroïne, Despentes lui a prêté un cynisme dévastateur. L’auteure, par la voix de son personnage, tire sur tout ce qui bouge, en particulier sur les hommes (pas tous, bien sûr). «C’est drôle, comme les hommes ne pensent pas à être complexés. Enfin, pas encore. Il est tout pourri de partout, la nature ingrate avec lui, mais il ne pense pas à être gêné, il ne pense qu’à son énorme plaisir. Ça doit être bien d’être comme ça, con pour les autres qui doivent se le supporter, mais agréable à vivre.» Cinglante, Virginie Despentes? Heureusement pour nous, elle n’est pas que ça.

Les Jolies Choses
de Virginie Despentes
Éd. Grasset, 1998, 264 p.