Martine Pratte : Janis pour les intimes…
L’histoire d’une fille de quatorze ans aux prises avec les pièges de la drogue, de la violence familiale, de l’abus sexuel, ça vous retourne toujours les tripes. Qu’il s’agisse d’un roman ne change rien à l’affaire; vous savez très bien que même si ce que vous lisez est de la fiction, ces destins existent dans la réalité.
Dans le premier roman de Martine Pratte (qui fraie avec la littérature jeunesse depuis un certain temps), tout arrive à Constance, qui se fait appeler Janis pour des raisons que l’on devine. Même qu’il lui en arrive trop à cette Janis, c’est à peine croyable: chaque fois que vous pensez qu’elle a atteint le fond, plus difficile encore survient. Janis est larguée par sa mère, trop immature, mais elle aura eu le temps de se faire abuser par son beau-père. Abandonnée par sa grand-mère, qui était sa protectrice, elle se retrouve seule et finit dans un foyer après avoir accompagné son chum dans un mauvais coup, et s’être fait arrêter avec lui. Puis, c’est la descente aux enfers, et la prostitution. Difficile de trouver un récit plus cliché. Et malgré cette avalanche de malheurs, Janis garde un sens de l’humour à toute épreuve.
Savoir que tout ça peut ressembler à la réalité n’en fait pas pour autant un meilleur roman. Le récit est pourtant raconté de manière très rythmée, efficace, et démontre que son auteure possède indéniablement le sens du punch (quoi que trop de punch peut annihiler l’effet recherché…). Mais quelque chose cloche dans tout ça. Est-ce l’écriture qui ne trouve pas le ton qu’il faut pour livrer la marchandise? Est-ce le mélange de niveaux de langage (parlé et écrit, généralement) qui nous fait décrocher? («Pas de cash sans hit, c’est l’entente!» sonne assez mal, quand on entend «deal» à la place d’«entente»…)
Aussitôt que l’on commence à s’attacher à l’héroïne, le style de cette confession, touchante bien souvent, crée malheureusement une distance entre le récit et le lecteur. De plus, le ton «pop-psycho» qui traverse le roman lui enlève une vérité, un effet de réalité. «Je n’avais pas laissé le numéro où il aurait pu me joindre. Par peur, par manque de confiance, par honte? Je l’ignorais complètement. Je l’aimais pourtant. Mais j’aimais sans doute l’héroïne plus que lui. Bien sûr, j’avais un argument parfait pour être retombée dedans.»
On préfèrait que la narratrice connaisse un peu moins la psycho, et qu’elle creuse davantage sa propre voix.
Dommage, car Pratte connaît bien les ressorts de l’écriture dramatique et un travail sur le langage et le style aurait pu être salvateur.
Éd. Lanctôt, 1998, 152 p.