Audrey Benoît : Sylvie
Elle est cynique, émotivement instable, impudique et drôle. Née de père inconnu, élevée par une mère très jeune avec qui elle a coupé les ponts, elle souffre d’insécurité chronique, d’attaques de panique, de crises de doute, mais travaille très fort pour n’en rien laisser paraître. «Je suis tellement différente à l’extérieur, écrit-elle à son journal intime, que tu
ne me reconnaîtrais même pas.»
Elle s’appelle Sylvie, elle a vingt-cinq ans, elle travaille le jour dans une boutique de vêtements, s’étourdit le soir dans les bars. En apparence, tout va bien. Mais à l’intérieur, tout craque. Alors elle écrit, dans son journal, tout ce qui ne se dit pas. Que sa mère est tout pour elle parce qu’elle est tout ce qu’elle n’a jamais eu, et que tout, c’est trop. Qu’elle cherche son père à travers tous les pères imaginaires qu’elle s’est inventés. Qu’elle n’arrive à rien, même pas à s’occuper de ses plantes, qui ont «toutes l’air abruti. Maigrichonnes, tortueuses parce que mal taillées. C’est ma faute. Je veux tout, tout de suite. Je veux tellement qu’elles
poussent comme des chefs-d’ouvre de fleuriste que je les taille à tout bout de champ. Et quand je les taille je suis tellement stressée que je les traumatise. Une chance que je n’ai pas d’enfant.»
Entre les anecdotes, les cours de création littéraire entrepris pour aussitôt être abandonnés, les poussées de jalousie, les scènes érotiques, le rire et les peurs, Sylvie soulève ces grandes questions qu’on se pose quand on a vingt ans, en tremblant, parce qu’on pressent qu’elles resteront sans réponses. La vie a-t-elle un sens? Pourquoi n’est-on pas, au-dedans comme au-dehors, la même personne? Comment se laisser aller à aimer quand on sait très bien que l’amour peut vous blesser gravement?
Sylvie est le premier roman d’Audrey Benoît, cet ex-top-modèle à la carrière internationale, qui a un jour abandonné gloire et fortune pour devenir comédienne puis écrivaine. Un premier roman courageux, parce que l’auteure prend des risques et des libertés avec la forme, sautant du journal au récit à la troisième personne. Et qu’elle a choisi d’utiliser la langue parlée, celle de tous les jours, risquant de se mettre à dos une bonne partie du lectorat. Mais les filles de vingt ans seront nombreuses à se reconnaître dans ce personnage. Elles sauront entendre la justesse de sa voix, et finiront par la trouver, malgré ses doutes, ses contradictions et son égocentrisme enfantin, très attachante. Lanctôt Éditeur, 1998, 222 p.