ErrataGeorge Steiner : Bouillon de culture
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ErrataGeorge Steiner : Bouillon de culture

George Steiner est l’un des grands intellectuels de notre époque. Malgré le ton un peu amer de ce récit autobiographique, voici peut-être l’occasion de faire connaissance avec l’homme et quelques-unes de ses grandes réflexions.

George Steiner est l’une des grandes figures de l’intelligentsia universitaire internationale. Il est du groupe fort restreint de théoriciens de l’analyse littéraire qui exercent une influence certaine sur les étudiants et leurs professeurs, sans être pour autant souvent cités dans les essais érudits et les thèses. D’ailleurs, dans Errata, Steiner revient, à plus d’une occasion, sur le fait que nombre d’auteurs profitent du fruit de ses réflexions, mais en omettant d’en indiquer la source…

Ce n’est par moments pas tellement plus que ça, cet Errata: à la manière des Exercices d’admiration, de Cioran, on pourrait donner à de trop nombreuses pages de ce Récit d’une pensée le titre d’«exercices d’amertume». Dans la plupart des chapitres, Steiner commence par évoquer diverses anecdotes autobiographiques: son enfance en Autriche et en France, qu’il a vécue en trois langues (l’allemand, le français et l’anglais); ses études supérieures aux États-Unis; ses rencontres, de colloques en colloques, avec des sommités internationales de la théologie, des sciences, etc. Il mêle alors ces souvenirs à des considérations plus ou moins pessimistes sur sa propre vieillesse et sur notre fin de siècle. Et le tout est entrecoupé de retours critiques sur certaines des idées qu’il a pu développer au fil de ses précédents ouvrages.

Les aspects autobiographiques du bouquin permettent de jeter un peu de lumière sur les fondations de la pensée de Steiner. On y comprend que l’éminent professeur doit certainement une partie de l’originalité de ses conceptions de la littérature au fait qu’il se situe à la croisée des traditions de la haute bourgeoisie juive cultivée germanophone d’avant-guerre, qui ont marqué son enfance, et de la culture de masse à laquelle il a été confronté aux États-Unis à partir de la fin des années quarante. Et, finalement, toute son ouvre se présente comme une tentative d’harmoniser ces deux influences.

On retrouve évidemment, au fil des pages du bouquin, nombre de propos qui en valent le détour. Ainsi lorsque Steiner constate que: «Dans les nécessaires négations de la vie ordinaire, avec son inconséquence échevelée et sa vaine agitation, il y a quelque chose du cancer, de l’autisme.» Ou quand, confronté aux atrocités qui émaillent les informations internationales à la télé, il réfléchit sur notre aisance à «[oublier] l’insupportable, vaguement rassurés [que nous sommes], voire absous par le pathos de la connaissance». Ou encore, lorsqu’il propose de définir les idéologies comme «des territoires de l’esprit».

Errata est un ouvrage nettement moins «savant» et érudit que les autres publications de George Steiner, mais pourrait leur servir d’introduction: le chapitre sur les langues et la traduction donnera envie de découvrir ou de relire Après Babel, qui est sans doute, avec Réelles présences (portant sur la question de l’art et publié en 1991), l’essai essentiel de Steiner, consacré à la problématique de la traduction (à ce propos, il faut malheureusement signaler que la version française d’Errata, que l’on doit à Pierre-Emmanuel Dauzat, est singulièrement lourde et laborieuse…).

Sans être un grand livre, ni du meilleur Steiner, Errata est malgré tout le fort intéressant autoportrait d’un universitaire de haute volée.

Errata
Récit d’une pensée
Éd. Gallimard/coll. du Monde entier, 1998, 231 p.
de George Steiner