Montréal brûle-t-il?
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Montréal brûle-t-il?

Ambitieuse fresque historique située dans l’agitation politique de Montréal au siècle dernier, Jour de feu de PIERRE TURGEON se doublé d’une trame de fond romanesque échevelée.

Au milieu du siècle dernier, Montréal est au bord de la guerre civile. Alors capitale du Canada-Uni, la métropole en devenir voit ses rues envahies par des fauteurs de troubles qui menacent de tout incendier sur leur passage. C’est que le gouvernement de Louis-Hippolyte Lafontaine vient de voter une loi prévoyant l’indemnisation des victimes canadiennes-françaises de la Rébellion de 1837. La mesure, accueillie avec bonheur par les intéressés, est jugée par les orangistes bien trop favorable à ce peuple d’ingrats et de révoltés. Il n’en fallait pas moins pour aviver les tensions patriotiques qui sont le leitmotiv de notre histoire.

Pierre Turgeon, dans son roman historique Jour de feu, prend cet épisode pour contexte et y situe des personnages romanesques peu banals. A commencer par les amants Marie-Violaine Blake (née Hamelin) et Stéphane Talbot, qui filent un amour aussi fougueux que menacé. Le nom Blake, la jeune femme en est affublée depuis un mariage qu’elle n’a jamais souhaité avec Henry Blake, richissime filou et propriétaire de la Montreal Gas Light Heat and Power. Mais Blake vient d’être assassiné, ce qui débarrasse Marie-Violaine d’un époux qu’elle méprise et qui a maintes fois voulu la tuer.

Comme en toute période troublée, des escrocs flairent la bonne affaire. Le premier d’entre eux n’est autre que Paul Leclerc, l’adjoint au chef de la police montréalaise, un opportuniste dont le génie n’a d’égale que la cruauté. Ses acolytes et lui voudraient bien profiter du chaos pour mettre la main sur l’aqueduc et le gazoduc de Montréal, de même que sur la fortune de Blake. L’héritière de celui-ci étant sa veuve Marie-Violaine, tout ce petit monde va se retrouver dans une machination sans nom.

La situation s’avère explosive au propre comme au figuré puisque le gazoduc de Montréal, alors très peu sécuritaire (pas difficile à croire…), fuit paraît-il de partout et fait de la ville une bombe à retardement. Pendant que des fous furieux parcourent Montréal torche à la main, la moindre étincelle pourrait causer la catastrophe. Quant au gouverneur Elgin, il n’ose pas opposer l’armée britannique à ses compatriotes. Résultat: la situation dégénère vite. Même le Parlement sera la proie des flammes, et avec lui les 25 000 livres de la Bibliothèque nationale.

Ce livre est une leçon d’histoire. On y expose certaines problématiques liées à l’urbanisation de Montréal, on y mesure aussi l’importance qu’avait alors le mouvement favorable à l’annexion du Canada aux États-Unis. Or les longues parenthèses historiques proposées par Turgeon, bourrées d’anecdotes, font l’intérêt mais aussi la limite d’un roman d’amour et d’aventure où l’action dramatique se trouve quelque peu hachurée. Sans compter que cette journée du 25 avril 1849 compte décidément un peu trop de revirements pour être tout à fait crédible. En effet, nos héros vivent en une journée de quoi meubler une semaine d’espace romanesque.

Jour de feu est l’une des premières parutions de Flammarion Québec, la succursale québécoise de la grande maison française, qui souhaite recruter des auteurs d’ici pour les diffuser partout à travers la francophonie. Pierre Turgeon (Prix du Gouverneur général en 1980 pour le roman La Première Personne) y trouve une vitrine de choix pour sa fresque historique des Talbot-Parker, dont Jour de feu n’est qu’un volet. Un genre où le romanesque et l’historique font rarement parfait ménage, mais qui, dans ce cas-ci, promet au lecteur des heures de découverte et d’aventure, sur le terrain toujours fertile de nos contradictions nationales.

Jour de feu,de Pierre TurgeonFlammarion Québec272 pages, 1998