Nicole Brossard : Elle serait la première phrase de mon prochain roman
trad. anglaise par S. de Lotbinière-Harwood
C’est à Toronto, en édition bilingue, qu’est paru le plus récent ouvrage de la romancière, essayiste et poète Nicole Brossard. Sorte d’hybride littéraire au très beau titre, Elle serait la première phrase de mon prochain roman tient à la fois de l’essai, du roman, de la poésie. Poursuivant une exploration entamée il y a plusieurs années, l’écrivaine s’intéresse avant tout à l’écriture, au processus d’écriture, à ce travail avec les mots, avec la langue, qui lui permet de réfléchir, de ressentir, de définir un rapport au monde, à l’autre, qui dépasse la fiction… On passe à travers cet exercice avec un intérêt certain, mais aussi une certaine impression de déjà lu.
Partant de rien, de l’unique désir de plonger, de retourner à l’univers des mots, l’auteure définit un ton de narration où un «je» qui n’est pas elle, qui est peut-être elle, un «je» écrivant parle d’elle, Nicole Brossard, à la troisième personne du singulier: «Depuis la parution de son dernier roman, Le Désert mauve, livre dans lequel elle avait consenti à plus de descriptions, avait pris le temps d’aimer ses personnages, de leur donner une identité et de les entourer d’un paysage, elle semblait s’être réconciliée avec la prose, à tout le moins, lui accordait plus de respect.»
Plongeant ainsi, donc, sans savoir où l’entraînera son désir, elle s’interroge, s’explique sur son refus du romanesque, réaffirmant sa seule passion, son unique obsession: «avancer dans le dénouement de la seule énigme qui lui importait: l’énigme de l’écriture». Redisant une fois de plus sa foi en la poésie, elle revient sur les raisons qui la font écrire, puis sur certaines étapes de son parcours d’écrivaine. Le fait primordial d’être femme, ce que cela a déterminé. Femme parmi les autres femmes.
Au fil de ses réflexions, des figures complices apparaissent, elles se réunissent dans un bar, autour d’une table, à discuter. Elle rêve de faire de Montréal un «espace imaginaire désirable». Elle refait l’histoire des années soixante, la Révolution tranquille, l’apparition de la sexualité et du débat de la langue dans la littérature québécoise; soixante-dix, le mouvement féministe et le concept «d’écriture au féminin». Dans des passages en italique, elle redit comme un leitmotiv: «Je suis une femme du présent», et c’est dans l’immédiateté de l’écriture que Nicole Brossard touche à l’essentiel.
«J’aime exister en direct, que l’écriture déclenche des frissons face aux énoncés radicaux, aux licences syntaxiques et grammaticales, aux audaces sémantiques. J’ai besoin de sensations fortes pour bien penser. J’ai besoin de trembler de la tête au pied, oui, j’ai besoin de cette sensation qui ressemble à une excitation sexuelle. J’ai besoin que cela me monte à la tête.»
Elle serait la première phrase de mon prochain roman est en fait le texte d’une conférence que l’auteure a prononcée dans des universités américaines et en Europe. Elle décrit bien sa vision de l’écriture, mais le quota d’informations factuelles, historiques, à transmettre, déjà connues, en alourdit la facture. Éd. Mercury Press, 1998, 152 p.