Au milieu du siècle dernier, Montréal est au bord de la guerre civile. Alors capitale du Canada-Uni, la métropole en devenir voit ses rues envahies par des fauteurs de troubles qui menacent de tout incendier sur leur passage. C’est que le gouvernement de Louis Hippolyte Lafontaine vient de voter une loi prévoyant l’indemnisation des victimes canadiennes-françaises de la Rébellion de 1837. La mesure, accueillie avec bonheur par les intéressés, est jugée par les orangistes bien trop favorable à ce peuple d’ingrats et de révoltés. Il n’en fallait pas moins pour aviver les tensions patriotiques qui sont le leitmotiv de notre histoire.
Pierre Turgeon, dans son roman historique Jour de feu, prend cet épisode pour contexte et y situe des personnages romanesques peu banals. A commencer par les amants Marie-Violaine Blake (née Hamelin) et Stéphane Talbot, qui filent un amour aussi fougueux que menacé. Le nom Blake, la jeune femme en est affublée depuis un mariage qu’elle n’a jamais souhaité avec Henry Blake, richissime filou et propriétaire de la Montreal Gas Light Heat and Power.
La situation s’avérera explosive au propre comme au figuré puisque le gazoduc de Montréal, alors très peu sécuritaire (pas difficile à croire…), fuit, paraît-il, de partout et fait de la ville une bombe à retardement. Pendant que des fous furieux parcourent Montréal torche à la main, la moindre étincelle pourrait causer la catastrophe. Quant au gouverneur Elgin, il n’ose pas opposer l’armée britannique à ses compatriotes. Résultat: la situation dégénère. Même le Parlement sera la proie des flammes, et avec lui les vingt-cinq mille livres de la Bibliothèque nationale.
Ce livre est une leçon d’histoire. On y expose certains problèmes liés à l’urbanisation de Montréal, on y mesure aussi l’importance qu’avait alors le mouvement favorable à l’annexion du Canada aux États-Unis. Or, les longues parenthèses historiques, bourrées d’anecdotes, font l’intérêt mais aussi la limite de ce roman d’amour et d’aventures où l’action dramatique se trouve quelque peu hachurée. Sans compter que cette journée du 25 avril 1849 compte un peu trop de revirements pour être tout à fait crédible.
Jour de feu est l’une des premières parutions de Flammarion Québec, la succursale québécoise de la grande maison française, qui souhaite recruter des auteurs d’ici pour les diffuser à travers la francophonie. Pierre Turgeon (Prix du Gouverneur général en 1980 pour le roman La Première Personne) y trouve une vitrine de choix pour sa fresque historique des Talbot-Parker, dont Jour de feu n’est qu’un volet. Un genre où le romanesque et l’historique font rarement parfait ménage, mais qui, dans ce cas-ci, promet au lecteur des heures de découvertes et d’aventures, sur le terrain toujours fertile de nos contradictions nationales. Éd. Flammarion/Québec, 1998, 272 p.