Une sale rumeurAnne Fine : La vie de famille
Anne Fine s’est fait connaître par ses livres pour la jeunesse, dont celui qui est à l’origine de la comédie Mrs. Doubtfire, un film plein de bons sentiments qui mettait en vedette Robin Williams. L’auteure britannique, née en 1947, écrit également des livres plus tordus: Un bonheur mortel (1991), Les Confessions de Victoria Plum (1993), Dans un jardin anglais (1995), et maintenant, Une sale rumeur. Ce roman met en scène quatre sours: Stella, Liddie, Bridie et Heather, qui s’aiment et sont liées comme dans les meilleures familles: «Sur ce point elles étaient toutes d’accord et la loyauté entre sours l’emportait toujours sur la loyauté envers les petits copains, les amants et les maris.»
Mais lorsque la plus jeune, folle amoureuse de George, annoncera son mariage, Bridie, travailleuse sociale, voudra faire éclater la vérité et mettre sa sour en garde: elle doit savoir que son fiancé est soupçonné de pédophilie… C’est le branle-bas de combat car Heather et Stella refusent de ruiner le bonheur de leur petite sour à cause de cette sale rumeur.
A travers cette intrigue, Anne Fine fait un portrait fascinant d’une famille et de ces quatre femmes qui révéleront leur vrai tempérament au cours de la crise qu’elles traverseront. Mais c’est surtout à Bridie que s’attache la romancière, décrivant ses remords de conscience, ses forces, ses faiblesses, sa très grande humanité. A cause de son métier, et de son expérience des drames familiaux, Bridie prendra en charge ce dossier délicat: connaissant l’horrible secret, ne doit-elle pas protéger les enfants de Liddie (nés d’un premier mariage)? Incapable de prendre le recul nécessaire, elle se voit affreusement déchirée entre la perspective de détruire la vie de sa sour et l’obligation de lui dévoiler la vérité. Comme elle le rappellera tout au long du récit: ne pas lui dire, c’est lui mentir.
Elle paiera cher le prix de sa révélation, puisque Liddie ne la croira pas, et coupera ses liens avec elle. «Pourtant, quelques fois, d’un seul coup, elle se sentait en deuil. Il n’y avait pas d’autres mots. La sensation était insupportable, presque intenable physiquement, un horrible resserrement de l’estomac qui l’empêchait de respirer. (…) C’était la pire de toutes les sortes de panique, avec, dans la tête, la confusion totale des idées.»
Dennis, époux de Bridie, lui adressera des reproches. «Je ne vous comprends pas, tes sours et toi. Je ne comprends pas pourquoi vous attachez toujours tellement d’importance à tout. Pourquoi vous avez tant besoin de tous ces sentiments.» En effet, il ne manque pas de pleurs, de colères et d’engueulades dans ce roman. Il ne manque pas non plus d’ironie et de sarcasmes, sous la plume jubilatoire de Fine. Cet humour noir et cruel rappelle d’ailleurs parfois la désormais célèbre Bridget Jones d’Helen Fielding, toujours à se moquer de ces travers si féminins, que sont (paraît-il) la jalousie, la manipulation, l’obsession pour la culpabilité et toutes ces horribles choses.
Bien sûr, le dénouement n’est pas du tout celui que l’on attendait. La romancière est fine psychologue et très bonne observatrice; car si c’est de l’intérieur que s’éclaire le mystère, c’est à l’extérieur de sa famille que Bridie, qui fera son enquête, trouvera les solutions à son problème.
On dit que toutes les familles ont leurs secrets qu’il vaut mieux ne jamais percer. Bridie, toujours là pour les autres avec son âme de scout, l’apprendra à ses dépens, et s’en tirera bien mieux que prévu. Dans un style très oral, rythmé, sans grandes envolées littéraires, Anne Fine signe un anti-roman familial, qui ne condamne personne en particulier, mais accuse la lâcheté et la faiblesse qui sont en chacun de nous.
Une sale rumeur
d’Anne Fine
Éd. de l’Olivier, 1998, 268 p.