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L’Homme et l’Enfant maure : Casablanca mon amour

Le deuxième roman d’ALBERT MARTIN emprunte à l’univers onirique oriental. Proche du conte, son intrigue se profile derrière un léger voile qui en estompe les contours.

Auteur pour la télévision depuis des années, Albert Martin se livre parfois à l’exercice romanesque. Besoin de créer des personnages plus denses, de peindre des tableaux plus intimistes, sans doute. Knock-out, un premier roman publié en 1993, avait été reçu comme une ouvre singulière et prometteuse. Avec L’Homme et l’Enfant maure, l’écrivain poursuit une réflexion sur les motivations profondes du cour, faisant du Maroc le lieu d’une vaste quête existentielle et amoureuse. Récit initiatique, le roman s’articule autour des rencontres fortuites qui, sous les apparences de l’ordinaire, infléchissent le cours d’une vie.

Le lecteur est d’abord étonné puis séduit par la texture du discours. L’écriture d’Albert Martin, très personnelle, ne dévoile son objet que par petites touches, selon un procédé littéraire qui rappelle ce qu’est le pointillisme à la peinture. Ainsi, nous n’apprendrons que par bribes ce qui a mené Luc à claquer la porte de chez lui, à quitter sa femme et le Québec pour aller errer sans but sur les routes marocaines.

Quelques personnages croiseront le parcours de Luc. Jawad, un chauffeur de taxi philosophe à ses heures, Malika, une fillette perdue recueillie au bord de la route, puis une mystérieuse Espagnole qui se meurt du sida. Avec leur aide, et bien qu’il ne soit en rien concerné par le sort de la petite, Luc voudra raccompagner Malika chez les siens.

En temps normal, ces êtres tellement éloignés de lui n’auraient pas changé sa vie. Mais il traverse un passage à vide. Vulnérable, il est réceptif au hasard, à la chance, au sacré; il ouvre des portes jusque-là restées closes: «Luc ne croit pas aux rêves et voilà qu’il les poursuit.»

L’occasion est belle pour l’auteur de développer avec intuition et poésie les thèmes de l’amour impossible, de la perte d’un enfant, de l’illusion et de la désillusion. Durant son voyage aux quatre coins du Maroc, Luc trouve des morceaux de réponses, puis d’autres questions. Des mots qui souvent sont placés dans la bouche de personnages secondaires, sous la forme de paraboles ou de fables.

A sa manière, Luc s’exprime aussi par paraboles: «Il aime transformer les événements de sa propre vie pour les rendre lointains, méconnaissables et dérisoires. Malika écoute simplement une histoire, alors que Luc raconte l’oubli par un patient travail de maquillage.» L’importance de l’imaginaire est grande, qui seul place entre la vie et les êtres la distance nécessaire à la confidence.

Autre élément significatif du roman: la figure de la sorcière, qui asservit l’esprit de l’homme. L’ensorcellement, prélude aux souffrances amoureuses, conditionne le destin. Jawad pense peut-être aux sorcières quand il porte un jugement désabusé sur l’amour: «La certitude de vivre quelque chose d’unique est la première des illusions. Tout le reste vient s’y greffer et s’étend jusqu’à former cette illusion de l’amour.»

Évitons de voir en ce livre ce qu’il n’est pas mais évoque parfois: une histoire où le mouvement, voire l’action, va enfin se développer puis tendre à une chute. L’Homme et l’Enfant maure est une série de portraits intérieurs; un récit un peu statique, mais qui, le plus souvent, évolue avec bonheur dans le registre du conte philosophique.

Les dessins de Louise Latraverse illustrent le livre et soulignent joliment son caractère oriental.

L’Homme et l’Enfant maure,
d’Albert Martin
Le Loup de Gouttière
1998, 216 pages