Aux fruits de la passionDaniel Pennac : Mi-figue, mi-raisin
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Aux fruits de la passionDaniel Pennac : Mi-figue, mi-raisin

DANIEL PENNAC publie Aux fruits de la passion, un cinquième roman sur la famille Malaussène. L’écriture est toujours aussi belle, mais l’intrigue laisse à désirer: les Malaussène seraient-ils dépassés?

Chaque nouveau livre de Daniel Pennac suscite de grandes attentes, tant sa Fée Carabine ou sa Petite Marchande de prose, par exemple, nous ont fait plaisir. Ses éditeurs aussi ont de bonnes raisons d’être impatients, puisque Pennac, 56 ans, de son vrai nom Pennacchioni, est un succès de librairie assuré et vend des millions de livres.

Aux fruits de la passion a été publié l’été dernier en feuilleton sous le titre La Passion selon Thérèse dans l’hebdo français Le Nouvel Observateur; le voilà revu et augmenté dans cette édition toute fraîche.

Thérèse, sour de Benjamin, divine cartomancienne et liseuse de bonne aventure rencontre Marie-Colbert de Roberval dans sa caravane de Belleville. C’est le coup de foudre. Marie-Colbert est issu d’une riche famille aux ancêtres de grande renommée mais de bien mauvaise réputation. Thérèse est comblée: son amoureux veut refaire le monde et user de ses influences (et de celles de Thérèse) pour rétablir la paix sur terre, et mettre sur pied une organisation caritative. «Thérèse incarnait "l’intuition indispensable à tout gouvernement, le correctif nécessaire à une rationalité aveugle". Elle était le "cerveau droit" de la République, "cette part intuitive de l’esprit, scandaleusement négligée par notre système éducatif au profit d’un rationalisme qui n’en finit pas de buter contre ses bornes".» Ainsi s’exprime Marie-Colbert, l’intrus que Ben s’applique tout au long du récit à détester, narguer, piéger.

En effet, le narrateur bon enfant mais avant tout défenseur de sa tribu, ne voit pas cette liaison d’un bon oil. Il y a un os dans le couscous, et Ben veut tirer l’affaire au clair. «-Je sais pourquoi tu n’aimes pas Marie-Colbert, Benjamin; il n’est pas sentimental, non, mais il est bon; sous ses allures de sénateur en herbe, il n’est pas tout à fait adulte, c’est vrai, mais pour obtenir ce qu’il veut vraiment il faut la foi de la jeunesse (…); tu lui trouves une gueule de classe (…), si tu veux dire par là qu’il ne nous ressemble pas, Benjamin, regarde-nous, nous ne ressemblons à rien.»

Ce sera la meilleure tirade de Thérèse, critique qui donne un peu de profondeur à toute cette histoire. Quand les amoureux annoncent leur mariage (qui sera filmé à la télévision), c’est le branle-bas de combat. Pris de panique, Benjamin charge Rachida d’une mission: prétendant de fausses «coordonnées astrales», elle consulte Thérèse qui fera sans le savoir sa propre carte du ciel, comme Ben l’a désiré.

L’intrigue consiste donc pour le lecteur à résoudre l’énigme: qui est ce Marie-Colbert de Roberval, appelé par ses intimes MC2? Que veut-il soutirer à la sour de Benjamin? C’est à ce moment que le roman devient véritablement un polar, et que le récit s’active enfin. Les personnages sortent de leur coquille (enfin quelques-uns), l’action décolle, et l’étau se resserre.

Puis, on a la vague impression que l’auteur détourne l’attention du lecteur, le lance sur de fausses pistes pour faire durer le plaisir. Mais l’effet n’a pas le succès espéré: du plaisir, il y en a, mais pas autant que dans les grands crus de Pennac. Entre autres, parce que la tribu des Malaussène commence à lasser, trop refermée sur elle-même, ressassant les mêmes obsessions; et que Belleville ressemble de plus en plus à une bande dessinée, où la finesse l’aurait cédé à la caricature.

Il y a certes de très beaux passages dans ces Fruits de la passion, mais qui ne tiennent pas nécessairement aux personnages qui ont fait la carrière des Malaussène; «La dernière fois que j’ai vu Thérèse jeune fille, elle plongeait dans la robe de mariée que lui tendait Théo. "Plonger" est le juste verbe. C’était une robe bleu nuit qui engloutit ma sour astrale comme si elle avait sauté du haut des cieux dans une mer sans fond. Puis sa tête et ses deux mains avaient resurgi, miraculeusement, et la robe s’était allumée!»

A l’image de cette robe de mariée «piquet [ée]» de constellations, l’imagination surréaliste de Pennac donne au texte le caractère littéraire qu’on lui connaît, mais se cache malheureusement derrière une intrigue molle.

Le pire qui puisse arriver à un livre, c’est de ne pas susciter les passions, et c’est le cas de cet épisode de la saga des Malaussène.

Aux fruits de la passion
de Daniel Pennac
Éd. Gallimard, 1999, 224 p.