Andrée A. Michaud : Les Derniers Jours de Noah Eisenbaum
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Andrée A. Michaud : Les Derniers Jours de Noah Eisenbaum

Voici un quatrième roman pour l’auteure de La Femme de Sath (Éd. Québec/Amérique, 1987), de Portraits d’après modèles et d’Alias Charlie (Éd. Leméac, 1991 et 1994). Dans Les Derniers Jours de Noah Eisenbaum, Andrée A. Michaud, titulaire d’une maîtrise en études littéraires de l’UQAM, élabore un récit à plusieurs voix, multiplie les mises en abyme, pour faire ressortir l’intransigeance et les pièges du travail de la mémoire. A travers les efforts d’un vieil écrivain désespéré pour reconstituer le roman de sa jeunesse heureuse, c’est le processus d’écriture, ses avancées et ses reculs, à travers mensonges et vérités, que l’auteure met en scène. Son livre en forme de puzzle plaira aux lecteurs exigeants, friands d’énigmes non résolues.
Avec un style d’écriture léché mais coulant, l’écrivaine réussit à installer un climat, à créer le suspense qui attire le lecteur plus avant dans ses pages. Un vieil homme, Thomas Deligny, se penche sur ses feuilles, écrivant, raturant, jetant à mesure ce qu’il écrit, jamais satisfait. Des prénoms, Leslie, Lester, personnages semblant sortir de son passé lointain, viennent le hanter, se poursuivent dans un champ, sur une grève. La passion leur fait signe. Mais que penserait Nellie de cette reconstition des faits? Voici le journal intime de Nellie. Nellie, la femme de Thomas, réfute cet amour qu’aujourd’hui le vieil écrivain tente de faire revivre. Elle répète que Thomas ne l’a jamais aimée, lui «qui voyait le monde en caractères d’imprimerie et ne se sentait en confiance qu’avec les êtres de fiction».

Quel contraste entre le carnet de Nellie, plein d’agressivité et de frustrations, et l’image idyllique que l’écrivain tente de donner de leur amour! Mais qui a écrit ce «cahier apocryphe»? Thomas bien sûr. Puis voici qu’une nouvelle narratrice prend la parole. Qui est-elle? L’auteure elle-même? «Le véritable nom de Thomas Deligny est Noah Eisenbaum, et c’est près de Noah que j’aurai vu les saisons passer», dit-elle. Ainsi, de dédoublement en dédoublement: qui est qui? Les couples de Leslie et Lester, Nellie et Thomas, de cette dernière narratrice et Noah ne sont-ils que trois facettes imaginaires et changeantes d’un même amour?

Alors que les saisons se suivent, rendues avec grande sensualité par Andrée A. Michaud, entremêlées aux souvenirs de voyages au Maroc, sur des plages merveilleuses cachant des drames terribles, on se dit que oui, l’écriture permet tous ces subterfuges, toutes ces directions narratives. Au risque de perdre ses lecteurs par moments, l’auteure poursuit patiemment l’élaboration d’un univers complexe et fascinant. Les fragments de mémoire qui se font et se défont donnent une vision disparate d’une histoire d’amour ratée, qui n’est en fin de compte que prétexte au dur travail de la création. Éd. L’instant même, 1998, 142 p.