Rivales ou amiesShere Hite : Féminin pluriel
En 1976, le Rapport Hite sur la sexualité féminine faisait l’effet d’une bombe. Après avoir envoyé des milliers de questionnaires à des femmes de toutes les classes et de tous les âges, Shere Hite clamait tout haut que 70 % des femmes n’avaient jamais eu d’orgasme: plusieurs lectrices se sont senties concernées puisqu’il s’est vendu vingt millions d’exemplaires dans le monde du célèbre Rapport Hite.
Après avoir fait dire aux femmes les choses toutes crues, cette historienne de formation, née dans le Missouri, en 1942, a fait parler les hommes (Le Rapport Hite sur la sexualité masculine, 1981), les femmes sur l’amour (1987), tandis que sa dernière enquête portait sur la famille (1994).
Elle s’attaque dans Rivales ou amies, Le nouveau Rapport Hite sur les femmes d’aujourd’hui (Women With Women, 1997) aux rapports entre les femmes: combien de fois avez-vous entendu dire que les femmes entre elles sont perfides, détestables, compétitives? C’est ce genre de lieux communs que pourfend Shere Hite: les femmes ne savent pas démontrer leur affection, leur tendresse, leur admiration les unes envers les autres, ne développent pas non plus de solidarité, et c’est pour cela que leurs sentiments se transforment en agressivité. «Les femmes sont-elles nées rivales ou est-ce une idée dépassée? Que pensent-elles aujourd’hui les unes des autres – en amitié, au travail, à la maison?» demande-t-elle. Pour expliciter ses théories, Hite analyse donc les relations entre mères et filles, entre amies, entre collègues de travail, entre lesbiennes. Bref, elle veut faire le tour de tous les domaines de nos vies, de l’intimité jusque dans la vie publique; le tout à travers des témoignages anonymes dans lesquels nous pourrions toutes nous reconnaître.
Elle n’est pas très originale, Shere Hite, quand elle nous refait le coup de la mère coupable: ne parlant pas de sexualité à sa fille, ni de son corps, la maman, effrayée par sa propre intimité, la mènerait sur de mauvais chemins: «Les filles apprennent ainsi que ce n’est pas une femme qui les confirmera dans leur sexualité mais les hommes, en particulier ceux avec qui elle aura des relations sexuelles.» Ce qui explique que les femmes tiennent toujours pour plus importants les actions, opinions et propos émis par les hommes, conférant à tout ce qui émane d’eux une autorité naturelle. Hite voit aussi dans ce silence maternel qui entoure la sexualité l’une des sources de la rivalité féminine: les filles ne veulent pas devenir des femmes pour ne pas prendre la place de leur mère (et pourraient, par exemple, devenir anorexiques).
Ce que veut démontrer Shere Hite, c’est que les femmes n’ont pas véritablement de statut dans la société, qu’elles ne sont pas invitées à s’exprimer. Elle en donne l’exemple dans son chapitre sur les relations entre sours, où plusieurs témoignages illustrent cette rivalité pour l’amour et pour l’admiration des parents envers leurs filles.
Hite émet d’autres idées intéressantes quand elle parle des femmes au travail. Car s’il est vrai que nous sommes de plus en plus nombreuses à travailler, il est aussi très clair que peu d’entre nous savent se servir de leurs contacts, construire des réseaux, développer des solidarités professionnelles.
Les observations judicieuses de Shere Hite (sur l’homosexualité féminine, sur la tendresse, sur nos rapports avec les femmes qui nous entourent, etc.) sont malheureusement noyées dans une mer de lieux communs, et affaiblies par des raccourcis de raisonnement. Le ton de l’ouvrage et cette manière mièvre de s’adresser aux lectrices se rapprochent plus de l’infommercial que de l’essai, et le tout demeure peu convaincant. Dommage.
Rivales ou amies
Le nouveau Rapport Hite sur les femmes d’aujourd’hui
Éd. Albin Michel, 1999, 236 pages