Elena BotchorichviliLe Tiroir au papillon : Libre cours
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Elena BotchorichviliLe Tiroir au papillon : Libre cours

Nouvelle venue en littérature et au Québec, ELENA BOTCHORICHVILI publie un premier roman, Le Tiroir au papillon. Elle nous raconte sa venue au pays et à la littérature, ses peurs, son passé.

«Je sais que je suis au début de quelque chose, confie Elena Botchorichvili, à peine arrivée sur les lieux de l’entrevue. Je ne veux pas encore m’afficher comme écrivaine, je ne me considère pas comme telle. Personnellement, je croyais que ce roman allait être descendu… qu’on le trouverait moyen, voire mauvais.» Qu’elle se rassure: ce premier roman certes déconcerte, mais charme tout à la fois.

Elena Botchorichvili était journaliste sportive, dans le pays où elle est née, la Géorgie. Elle a amorcé à l’adolescence ses études de journalisme, et a décidé d’écrire dans la rubrique sport, afin d’avoir un peu de liberté… d’expression. «C’était mon seul moyen de faire ce métier différemment; en sport, je n’avais pas besoin de parler politique et, par conséquent, j’avais plus de liberté pour exprimer des points de vue. Bien sûr, faire ma place dans ce monde-là, c’était quelque chose. Il m’a fallu beaucoup de discipline, très bien me préparer pour les entrevues afin que les hommes que j’interviewais ne m’envoient pas promener…!» lance Botchorichvili en éclatant de rire.

Envoyée au Québec par son journal pour travailler, il y a maintenant six ans et demi, la journaliste a décidé de s’installer parmi nous. Mariée à un Québécois francophone, elle a fait des petits boulots, et apprend tranquillement à parler français, après avoir appris l’anglais, langue dans laquelle elle s’exprime couramment. Puis, la jeune femme a plongé dans l’écriture. Une autre aventure. «Quand j’ai vu que je ne pouvais pas être journaliste à cause de la langue, explique Botchorichvili, je devais trouver quelque chose. Je savais coudre, mais bon, ce n’était pas mon métier. Alors j’ai eu cette idée, je ne sais pas vraiment comment c’est venu, mais je me suis fiée à ma technique d’écriture journalistique et puis j’ai construit cette histoire. Le processus d’écriture n’est pas long, mais c’est de penser à ce qu’on va écrire qui est long…»

sans familleLe Tiroir au papillon raconte la vie de plusieurs générations que symbolisent trois personnages: Grand-Père, Père et Fils. L’action se déroule en Géorgie, notamment dans sa capitale: Tbilissi. Quelle est-elle, cette histoire? De manière diffuse, elliptique, non chronologique ou si peu, Botchorichvili s’attache à dépeindre par petites touches, par portraits, des héros atteints par les événements qui bouleversent le pays, et par leur propre vie intime, personnelle, familiale. Sorte de chronique en pointillé, Le Tiroir au papillon est l’antithèse de la «saga» mais en livre toutes les vicissitudes. Avec en prime des personnages presque fantasques, originaux. Fils, qui ne reconnaît jamais personne mais se souvient de tous les mots qu’il lit; Lali qui «avait le corps comme une guitare»; Mère, un «vrai tank soviétique»; et Grand-Père, sorte de guide romanesque, qui a été «intime avec la moitié de Paris». Le rôle de la famille est très important dans ce roman d’Elena Botchorichvili. «La Géorgie est un pays très traditionnel, explique-t-elle. Et quand la politique entre dans la famille, c’est la fin du monde, littéralement. Parce que les relations familiales et l’amitié sont très fortes, la politique fait tout voler en éclats.»La famille, c’est aussi la métaphore tout indiquée pour évoquer la nation soviétique, quelque années avant le démantèlement du Bloc soviétique. «Pour moi, l’Union soviétique était une famille, explique Elena Botchorichvili. L’annonce de Gorbatchev a été faite le 25 décembre 1991, et ce jour-là, la famille a éclaté… Mais nous avons vécu une véritable libération; évidemment, nous n’étions pas du tout prêts à ces changements politiques, économiques, sociaux, ç’a été un bouleversement total. Tout le monde cherchait un leader, un personnage qui allait nous guider… Je pense tout de même que la Géorgie devait se séparer, c’est son destin. Nous sommes tout à fait différents des Russes, par les traditions, la langue, même le physique. En fait, nous étions les Noirs de l’Union soviétique. Ce n’était pas un jugement, mais une constatation.»

Ce bouleversement est tout à fait déchiffrable dans le roman que signe Botchorichvili. Les ellipses et phrases nominales, doublées d’une ironie constante, tracent des portraits attendrissants, drôles, cocasses de personnages courageux, fragiles, décontenancés devant la chute du Bloc soviétique, ou Tchernobyl, pour ne citer que ces exemples. «Je sais que la chronologie est un peu étrange dans mon roman, avoue Elena Botchorichvili. Cela confond le lecteur, j’en suis bien consciente, mais c’était tout à fait intentionnel. Je voulais donner l’impression que vous êtes dans un bateau qui coule, et que ça vous emporte… Que vous étouffez, que vous manquez d’air.»

Cette impression de captivité, qui confère une gravité indéniable au récit, est subtilement compensée par un prosaïsme dévastateur: «Gorbatchev, du haut de la tribune, parlait simplement, comme les gens de la rue. On lui apportait du lait dans un verre. Il adorait exposer les problèmes et ensuite les jeter sur la place publique comme on jette un os à un chien. Le peuple était docile, comme toujours.»y

Le Tiroir au papillon
d’Elena Botchorichvili
traduit du russe par Anne-Lise Birukoff
Éd. Boréal, 1999, 91 p.