La Quête de Melville : Les liens du sang
Livres

La Quête de Melville : Les liens du sang

En 1991, Marie Gagnier publiait Une île à la dérive, un premier roman qui révélait une écriture ample et un sens fin de l’image et de l’allégorie. Aujourd’hui, La Quête de Melville donne à l’auteure l’occasion d’affiner son art. Dès les premières pages, le lecteur est saisi par une habileté à créer les atmosphères et à dépeindre l’univers des rescapés de la vie. L’homme-enfant à l’enfance violée, la jeune fille au délire schizophrénique ou le simple d’esprit, chacun prend bel et bien corps sous nos yeux.

Progression dans le temps fragmenté, cette quête a pour point de départ le Trois-Rivières des années cinquante, et plus précisément la Maison Chancel, complexe funéraire et lieu de folies complexes. L’embaumeur Melville Parent, armoire à glace au cour tendre, âme criblée, y partage le quotidien de pauvres bougres et d’attardés mentaux (il vit dans un immeuble adjacent qui accueille les fous).La vie de Melville bascule quand disparaît Laurence, la fille de son patron. L’amour est incongru entre Melville et Laurence, la jeune folle, mais la souffrance et le sang les ont promis l’un à l’autre. Bravant une nuit de vent et de glace, il part à sa recherche comme on court à sa propre rencontre.

Douze ans plus tôt, à Tadoussac, Melville passait sans transition de l’enfance à l’âge adulte. Seul survivant d’une effroyable tragédie familiale, il porte à jamais sa douleur, qui lui répond comme un écho dans les années. En s’enfuyant, Laurence avive cet écho. Et laisse derrière elle tant de questions: «Qui peut savoir ce qu’elle voit sur cette route, ce qu’elle perçoit de ce paysage de fin du monde? A-t-elle conscience de son corps? Marche-t-elle éthérée, vaporeuse, ouatine collée au manteau de la nuit?»

L’allégorie est réussie entre les espaces intérieur et extérieur: «Le monde efface encore ses pas à mesure. Elle entre dans un chemin défendu et perdu.» Au fond, peut-être veut-elle se rapprocher tout à fait de Melville, lui qui prépare les morts au repos définitif. Peut-être même que la mort est devenue le plus sûr des repères: «Laurence est hantée depuis longtemps par la mort. Elle a grandi à côté d’elle. Elle croit qu’il existe des morts qui refusent de s’endormir. Elle les porte en elle, elle les écoute lui fabriquer un monde dans lequel s’entremêlent des rubans de sa vie, des bribes de lecture, des impressions qui se matérialisent.»

Que leur arrivera-t-il, si la nuit accepte de les réunir? Peut-on vivre longtemps, même appuyés l’un à l’autre, prisonniers d’un destin qui va comme des pistes de sang dans la neige?

Marie Gagnier a une manière habile d’enrober la réalité, de laisser les brumes d’un matin d’hiver planer sur son propos, par exemple. Un talent qu’une légère complaisance dans l’effet de style dessert par endroits, cependant: «La récente chute de neige a achevé froidement l’obscurité et enfermé à double tour la terre déjà emprisonnée sous la glace. Linceul, mais aussi légère meringue gracieusement posée sur les sapins et les épinettes.»

La Quête de Melville en est une de survivance et de grande poésie, jusque dans ses débordements. Un récit qui prend à la gorge et interroge le passé avec pertinence, grâce à une psychologie des personnages des plus étoffées.

La Quête de Melville,de Marie Gagnier
Éd. Québec Amérique352 pages, 1998