Luc Asselin : Phénix
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Luc Asselin : Phénix

Auteur d’un recueil de nouvelles, Guerre, paru en 1993, Luc Asselin réitère l’expérience. Comme dans ce premier livre, un conflit armé, la guerre civile d’Espagne, qui dura de 1936 à 1939 et vit l’instauration de la dictature militaire du général Franco, sert de décor et de révélateur au personnage central et narrateur du roman Phénix. Il s’agit d’un homme à la personnalité complexe, pyromane dangereux parce qu’amoral, fasciné par ses ouvres en flammes mais non concerné par les vies qu’elles détruisent. Pour ce détraqué extirpé de l’asile par une faction antifasciste, pour ses talents d’artificier, la guerre sera occasion de métamorphose. Cependant, le ton posé trop uni de l’auteur, la lenteur du développement auront eu raison du lecteur…

Constatation déchirante car la première impression qui nous vient lorsqu’on entame la lecture de ce roman de 272 pages en est une de charme, de séduction, d’étonnement. Une écriture fluide, juste, maîtrisée, qui nous entraîne dans les péripéties de la vie de Manuel Encina et aussi dans les méandres de sa pensée. Cet homme, qui, après un retentissant procès couru par le tout-Madrid, fut déclaré malade mental et interné, ne se croit pas fou. Il est même convaincu que les fous, ce sont les autres: «Non, ce qui m’a mis au monde, et qui me donne une existence propre, c’est la lucidité et rien d’autre. (…) Je suis persuadé que, si je devais devenir effectivement fou un jour, je connaîtrais l’insigne privilège de vivre une folie aussi claire et coupante qu’un éclat de cristal.» Quand ce genre de fou très lucide s’exprime ainsi, difficile de ne pas succomber.

Pourtant, lorsqu’il parle de ses «ouvres», auxquelles il accorde une valeur quasi mystique, nonobstant les innocentes victimes dont il ne se sent nullement responsable, on comprend qu’il n’est pas le saint homme qu’il croit être. Or, le voici, engagé presque malgré lui dans la guerre, confronté à d’autres horreurs qui ne sont pas de son fait. Des rencontres l’ébranleront, lui qui n’a jamais eu d’amis et ne connaît pas les femmes. L’une d’elles réussira à le toucher par le récit du drame qui a détruit sa vie, et dont notre héros est ni plus ni moins que l’auteur. Ce qu’il ne lui avouera certes pas… Amené à mettre au service de la révolution son savoir, il se retrouvera au front, verra ses camarades tomber sous les coups de l’ennemi et ne restera pas insensible.

Luc Asselin a réussi, avec Phénix, à créer un beau personnage, suffisamment trouble et ambigu pour être intéressant. Quelques personnages secondaires, incluant les deux femmes, Carmen et la pute Rosa, auraient mérité une plus grande place, on aimerait les voir se confronter au héros. Le climat de la guerre civile, vue de l’intérieur, est bien rendu, sans que l’auteur ne se sente obligé d’alourdir son propos de dates et de références historiques; il s’est attaché au sort de ses personnages, avec raison. Les moments d’action, qui manquent au cour du livre, se bousculent à la fin sans que pour autant le style d’écriture, la narration, n’en épouse les soubresauts. Outre les redites dans le propos du héros, bien des longueurs, me semble-t-il, auraient pu être éliminées, histoire de dynamiser un peu l’ensemble. L’oil non complaisant de l’éditeur aurait dû y voir.

Éd. de l’Hexagone, 1999, 272 p.