André Noël : Le Seigneur des rutabagas
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André Noël : Le Seigneur des rutabagas

Ex-mari malheureux, ex-tueur à gages, ex-bras droit d’un dénommé Mussolini (une sombre crapule qui règne en maître sur la petite racaille montréalaise et pratique, au marché Jean-Talon, un lucratif racket de protection), Adélard Hébert se retrouve, alors qu’il vient de passer le cap critique de la cinquantaine, obligé de se convertir au métier peu lucratif de chauffeur de taxi. Pire, il se voit contraint, pour ne pas la perdre, de partager sa maison de la Petite Italie avec un autre chauffeur, Dieudonné Price-Mars, un Haïtien qui sait, entre autres choses, communiquer avec les esprits à l’aide de ses tam-tam, et donner à une vulgaire couleuvre les pouvoirs d’une divinité.

Tout va mal dans la vie d’Adélard Hébert, l’affreux, sale et méchant protagoniste du Seigneur des rutabagas. Plus rien ne l’intéresse. Ni les parties de black-jack avec ses partenaires (un sergent-détective corrompu et un commerçant italien hyper émotif), ni les cours d’histoire de l’art qu’il avait entrepris dans le but de se spécialiser dans le trafic d’ouvres d’art. Pas de doute, la dépression le guette. Jusqu’au jour où le colosse à la laideur spectaculaire rencontre, à l’hôpital où son père vient de rendre l’âme, une femme aussi imposante que petite (elle lui arrive au nombril, lui qui fait «deux mètres de haut par deux mètres de large»), qui travaille comme préposée à l’entretien, mais qui concocte, entre deux coups de torchon, un plan machiavélique auquel elle voudrait bien associer Hébert.

«Quand j’ai rencontré Régina, raconte Hébert, démarrant sur les chapeaux de roues un récit qui pourrait gagner le record Guinness du nombre de personnages et de rebondissements, je n’avais pas tué depuis longtemps. Sauf papa, bien sûr. Mais ce n’est pas la même chose.» Récit d’actions et d’aventures inénarrables qui nous emmène, à un train d’enfer, jusqu’au fin fond du Mexique, polar étourdissant qui se moque des règles de la vraisemblance comme du milieu de la police et celui des hôpitaux, portrait coloré (et caricatural) du multiethnisme montréalais, le premier roman du journaliste André Noël est, à l’image de son personnage principal, aussi drôle qu’exaspérant. Celui qui nous raconte comment il arrivera (ou n’arrivera pas) à réaliser ses rêves (c’est-à-dire régner, à la place de Mussolini, sur le marché Jean-Talon, vivre avec Régina, et élever un fils bien à lui, à qui il pourra enseigner l’art de détrousser gentiment ses semblables) est un véritable hyperactif qui dit tout ce qui lui passe par la tête, saute sans arrêt du coq à l’âne et s’égare continuellement dans des considérations hors propos. Épuisant, certes. Mais il n’en reste pas moins que cet intarissable Adélard, ce pervers, ce sans-cour, cet anglophobe inflexible, ce grossier boit-sans-soif, est un personnage, un vrai. De ceux, plutôt rares, qui s’imposent, et qu’on n’oublie pas facilement. Éd. La courte échelle, coll. Roman 16/96, 1999, 256 p.