Claire Martin : Toute la vie
Au terme d’un long silence, une figure importante de la littérature québécoise laisse à nouveau courir sa plume. Sous le titre Toute la vie, CLAIRE MARTIN range une série de nouvelles récentes et quelques textes plus anciens, mais jamais publiés.
On a vite fait de situer le personnage. Claire Martin, qui soufflera quatre-vingt-cinq bougies en avril, a l’oil vif, l’esprit curieux et le charme des gens âgés qui n’ont jamais cessé de mordre dans la vie. L’entrevue, sympathique au possible, nous promènera d’une décennie à l’autre, parmi les souvenirs, les anecdotes, les grands et moins grands événements qui ont jalonné un parcours singulier. Sans compter que l’humour viendra souvent ponctuer le propos d’un éclat de rire, même si les sujets abordés ne sont pas toujours drôles.
Si le nom évoque peu de choses pour la jeune génération, les plus vieux situent très bien Claire Martin. Il faut dire que Toute la vie, un recueil de nouvelles qui vient tout juste de paraître, est le premier titre publié par l’écrivaine depuis le début des années soixante-dix. À l’époque, et ce malgré le succès rencontré, elle décidait de cesser d’écrire: «Je ne trouvais plus la substance pour le faire, tout simplement.»
Claire Martin laissait une ouvre déjà très riche derrière elle. Doux-amer (1960) ou Quand j’aurai payé ton visage (1962), entre autres, avaient récolté des critiques élogieuses. D’aucuns parlaient même d’une voix de premier plan dans notre paysage littéraire. Dans un gant de fer, ses mémoires en deux tomes (1965-1966), lui ont d’ailleurs valu un prix du Gouverneur général. Gilles Marcotte, le critique réputé, plaçait alors l’auteure aux côtés des Gabrielle Roy, Edmond de Nevers et Alain Grandbois. Pas mal. Et certainement mérité.
C’est sur l’initiative du professeur Gilles Dorion que Claire Martin a envisagé la parution de ce recueil de textes, dont près de la moitié sont nouveaux. «Gilles Dorion a été plus que l’instigateur, en fait, il m’a presque forcée!» confie-t-elle amusée. «Il s’était mis à rassembler ce que j’ai publié dans les revues, les journaux, et en cours de route, il m’a demandé d’écrire quelques inédits. Pauvre homme, il s’était donné tellement de mal, alors… Il faut dire qu’entre-temps, j’avais déjà écrit quelques textes pour Les Écrits (ce qui était autrefois Les Écrits du Canada français).» Peu motivée au départ, elle allait bientôt se prendre au jeu: «J’avoue que j’ai préparé mes inédits avec grand plaisir, moi qui pourtant ne voulait plus du tout écrire. Mais je dois dire que la nouvelle, c’est beaucoup moins contraignant que le roman. D’ailleurs, je suis certaine de ne jamais plus écrire de roman.»
Comment expliquer ce retrait de l’activité littéraire, il y a près de trente ans? Tout fonctionnait bien, pourtant: «Ce n’est pas d’écrire qui est difficile, c’est d’aimer ça!» lance-t-elle. À ces mots, on reconnaît tout l’orgueil de ceux qui ne parlent ni n’écrivent jamais pour les apparences. «Mais je m’y suis remise, et ça a finalement été facile. Certaines nouvelles ont même été écrites au fil de la plume, ou presque.»
Dans les nouvelles ici présentées, on perçoit d’emblée les traits caractéristiques de son ouvre: des mises en situation exemplaires, un sens indéniable de la surprise, une économie de moyens désarmante. La nouvelle Toute la vie, qui a donné son titre au recueil, par exemple, tient dans trois pages et pourtant contient tout ce que doit contenir une nouvelle. À travers une rencontre aussi brève que décisive, y est exposé avec force le rapport qu’il y a entre toute la vie et la brièveté de ce qui en fait le prix.
Au fil des treize textes, la rigueur est partout: «Je suis assez scrupuleuse, dans l’utilisation des mots. C’est ce qui me prend le plus de temps, en fait. Le désir de trouver le mot juste.» Exigeante avec elle-même, la nouvelliste se reconnaît tout de même certaines qualités essentielles: «Une chose qui me plaît bien, dans mes nouvelles, c’est ce que je trouve comme chute. Je suis satisfaite de ça», souligne-t-elle avec beaucoup de modestie dans le ton, mais autant de fierté dans le regard.
Un autre texte, Combien j’ai douce souvenance, est moins une nouvelle qu’un portrait d’un lieu qu’elle a profondément aimé. Claire Martin et son mari, mort aujourd’hui, ont vécu pendant dix ans en France, jusqu’au début des années quatre-vingt _ une période qu’elle appelle «ses grandes vacances». Il faut l’entendre parler de Cabris, petite ville des Alpes-Maritimes où ils étaient installés, qui fut, quelques décennies plus tôt, fréquentée par Gide, Martin du Gard et Camus. À leur sujet comme au sujet de cette délicieuse région, elle est intarissable.
Le rapport à l’écriture a-t-il évolué, avec les années? Claire Martin y puise-t-elle ce qu’elle y trouvait à l’origine? «Non, pas du tout. Dans ce temps-là, c’était mon travail et ça prenait tout mon temps, pour ainsi dire. Je travaillais tous les jours, depuis midi jusqu’à cinq heures, environ. Mais j’ai toujours trouvé ça exigeant, astreignant. Je devais bien aimer ça, pourtant, puisque j’y pensais tout le temps; dans ma tête, j’écrivais tout le temps.»
On sent que les motivations ne sont plus tout à fait les mêmes, aujourd’hui. À la lecture, il n’est d’ailleurs pas très difficile d’identifier les nouvelles récentes. Jolies, toujours efficaces, elles sont pour la plupart plus douces, relevant moins du pied de nez à la vie et ses paradoxes que du remerciement pour ce qu’elle a été, finalement.
Toute la vie est un témoignage littéraire d’une rare élégance.
Toute la vie,
de Claire Martin
L’instant même
1999, 120 pages
Tristan Malavoy-Racine a tristement raison de souligner que l’œuvre de la nouvellière, romancière et autobiographe Claire Martin est inconnue de la jeune génération — et trop mal connue des autres… —, mais il suffit de tendre… La joue droite (seconde partie du récit Dans un gant de fer) à des jeunes de 17, 18 ou 19 ans, ce que j’ai eu l’occasion de faire dans des classes de littérature du collège Saint-Jean-sur-Richelieu, pour pallier cette lacune. Croyez-moi : la rencontre a lieu ! Les jeunes sont éminemment sensibles au souffle de liberté et à la vitalité profonde qui animent l’écriture volcanique de cette très grande auteure, qui aura cent ans en 2014.