Maxime Roussy : Du sang sur la chair d'une pomme
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Maxime Roussy : Du sang sur la chair d’une pomme

À peine 23 ans, un premier roman et déjà un sens poussé du marketing. Pendant trois mois, Maxime Roussy, alias M. St-A., a préparé la publication de son bouquin, une grosse satire sociale gonflée de violence et de sexe, en écrivant à l’intention des journalistes un bulletin prétendument signé par une jeune auteure suicidaire…

Comme moult auteurs ces dernières années – faut-il s’en inquiéter pour la maturité de notre littérature?… -, Du sang sur la chair d’une pomme épouse le point de vue d’un adolescent. Un âge de transition, d’inadaptation au monde, qui permet un regard distancié, critique, sardonique, voire destructeur sur un environnement social auquel il n’appartient pas encore vraiment.
Le roman de Maxime Roussy, en tout cas, se lit comme un véritable jeu de massacre, où notre monde est passé au filtre d’une vision violemment caustique. La narratrice, Marie, annonce à la ronde son intention de se suicider. La nouvelle provoque peu d’émoi dans son entourage, sinon quelques requêtes intéressées: ainsi, son chum Barabass (tous les personnages, pour une raison quelconque, sont affublés de prénoms bibliques) veut en profiter pour tourner un snuff movie… Il faut dire que la mort et la violence sont une affaire quotidienne dans ce milieu où le tabassage d’étrangers, le viol de fillettes, les «malheureux accidents» qui ponctuent les courses entre automobiles font office de divertissements du samedi soir.

Étalée sur quelques jours, l’intrigue sur fond suicidaire n’est guère plus qu’un prétexte – l’auteur se moque d’ailleurs des psys et autres spécialistes qui prétendent expliquer le phénomène – à une «hénaurme» satire sur les dérapages d’une jeunesse insensibilisée, lâchée lousse dans une société malade. Le ton neutre qu’adopte la narratrice pour raconter ces scènes outrancières n’en accuse que davantage la banalisation de la violence ayant cours dans ce monde tordu qui se veut dangereusement proche du nôtre, et où la vie humaine n’a plus de valeur autre que commerciale.

Exacerbant les problèmes, gonflant les tendances actuelles, Roussy frappe tous azimuts: la consommation à tout crin, le sensationnalisme médiatique, la déification de la télé, l’abdication des profs (dans le nouveau système, «c’est l’étudiant qui décide de sa note»…) et des parents, la complaisance judiciaire, la mise au rancart des vieux, euthanasiés de gré ou de force… Les traits satiriques qui font mouche voisinent avec les scènes à l’horreur grotesque gratuite. Et l’ensemble relève davantage d’une succession de flashs cyniques et de tableaux scabreux que d’un univers fictif cohérent. L’écriture crue, directe, un peu à plat, se contente trop souvent de nommer les choses, à mesure qu’elles surviennent, plutôt que d’immerger le lecteur dans un monde soutenu.

S’il possède un vif sens de l’observation, ce tout jeune auteur ne maîtrise pas encore sa démonstration. Cri d’alarme, ce roman? Peut-être. Mais cette accumulation de macabre, parfois drôle, parfois scandalisante, à la longue lassante, provoque, envers son héroïne, la même indifférence qui marque ce monde dans lequel on n’a pas envie de vivre. Et la finale, ingénieuse, qui interpelle directement le lecteur, nous laisse donc sur les bras un personnage qu’on n’a pas envie de sauver… Éd. Les Intouchables, 1999, 192 p.