Jacques Godbout : Opération Rimbaud
Pour son dixième roman, Opération Rimbaud, JACQUES GODBOUT trace le parcours d’un jésuite «humain» qui bourlingue entre Biarritz, Addis-Abeba, Djibouti et Lourdes. Une quête amusante pour un auteur qui se fait rare.
Ils sont presque tous dans la capitale française, nos écrivains, pour le grand événement promotionnel du Salon du livre de Paris. Les éditeurs ont fait des efforts énormes pour que paraissent à temps des dizaines de bouquins. Parmi ceux-là, le nouveau roman de Jacques Godbout, Opération Rimbaud, que l’auteur de Salut Galarneau! va offrir aux cousins, qui se demanderont peut-être ce qu’il a de foncièrement québécois, ce livre qui se déroule principalement entre Biarritz, Addis-Abeba, Djibouti et Lourdes. L’humour, peut-être? L’action à l’américaine? Son auteur, tout simplement?
Nous avons rencontré le romancier quelques jours avant son départ pour l’Europe. Depuis le début des années 80, Jacques Godbout, entre la réalisation de films, l’écriture d’articles et d’essais et son travail d’éditeur chez Boréal, publie un roman à peu près tous les cinq ans. Le dernier en date, Le Temps des Galarneau, a paru en 1993. Il déclare tout de même d’emblée que l’écriture de romans tient encore la place centrale dans sa vie. «C’est certainement au centre des plaisirs, dit-il; c’est la chose la plus libre, la plus extraordinaire qu’on puisse faire.»
S’il lui faut de deux à trois ans de préparation, d’absorption du réel, avant de se mettre à la rédaction, celle-ci se fait sur d’intenses périodes de deux à trois mois, à raison de sept jours par semaine, six heures par jour. «Parce que je ne peux pas perdre le fil du récit, ça demande une concentration énorme, explique-t-il. Mais je ne suis pas un cheval de labour, vous savez, je suis plutôt fait pour quelques tours de piste et après ça, je vais me reposer.»
Mission difficile
En cela, peut-être a-t-il quelque chose en commun (mais il ne l’avouera pas) avec le héros d’Opération Rimbaud.* Le père Michel Larochelle, jésuite patenté, peu croyant, aventurier et bon vivant, aimant la bonne chair, celle qui se mange comme celle qui s’étreint, s’y voit investi d’un ordre de mission de l’empereur d’Éthiopie Hailé Sélassié. L’histoire débute à
Montréal, en 1967, où le Négus lui-même, en visite au Québec, rencontre notre homme que la Compagnie de Jésus a mis à son service. La mission ne sera pas simple: le roi des rois, en possession des Tables de la Loi – reçues par Moïse des mains de Dieu lui-même! -, voyant son pouvoir menacé par de successives rébellions, veut soustraire ces reliques sacrées,
garantes de sa force et de son pouvoir, aux convoitises de ses nombreux ennemis. En route pour l’Afrique!
Jacques Godbout a travaillé et vécu en Éthiopie dans les années cinquante, engagé par l’empereur Hailé Sélassié, qu’il dit «avoir approché à quelques reprises, assez pour être touché par le bonhomme». «Il avait une tête assez extraordinaire, une petite barbe, c’était un tout petit homme. Mais c’était un personnage aussi important au XXe siècle que Nasser ou Castro, qui a essayé de faire passer son pays du Moyen Âge à autre chose. Pour Hailé Sélassié, qui, lui, appartenait au Moyen Âge, la période où j’ai situé le roman, 1967, c’était la fin de ce Moyen Âge, et simultanément, pour nous, c’était la fin de la période religieuse, la fin de la Renaissance, presque.»
Sous la robe noire
Par le biais de l’humour qu’on lui connaît, Jacques Godbout, qui se définit lui-même comme agnostique, donne de la Compagnie de Jésus, ici puissance internationale aux visées obscures, et des religieux en général, une image peu reluisante et néanmoins assez réaliste, en tout cas très amusante. «On ne sait jamais, écrit-il, si celui-ci, professeur de chimie dans notre collège de Tokyo, ou celui-là, enseignant de latin à Tombouctou, travaille pour la plus grande gloire de Dieu, ou pour la plus grande puissance occidentale. Ces doubles allégeances donnent par ailleurs du piquant à la vocation. Les vrais jésuites, c’est simple, portent un cilice pour dominer leurs pulsions perverses, les faux jésuites "qui le sont d’autant plus", aurait dit papa, cachent leurs appétits sous la robe noire.» «J’ai voulu écrire l’histoire d’un Québécois qui va dans le monde et prend l’univers en charge, raconte le romancier. Je pense qu’on a droit à notre part de mondialisation.* À l’époque, les missionnaires québécois étaient partout dans le monde. On utilise le même terme dans les romans policiers ou d’espionnage et dans la vie religieuse: la mission. L’évidence m’a sauté aux yeux que tout espion était un missionnaire et que tout missionnaire était un espion. Mon jésuite n’a pas beaucoup la foi, mais la plupart de ceux que j’ai connus, moi, ici, par la suite, et même dans les années 60 au Québec, n’avaient pas beaucoup la foi non plus. Vous ferez le décompte des milliers de jésuites, dominicains, franciscains ou religieuses qui ont défroqué entre 1960 et 1967, ça se compte par milliers! S’ils avaient eu la foi à ce point, ils n’auraient pas laissé tomber la robe.» Poursuivant sur sa lancée, il ajoute: «C’est un type humain, le jésuite. Plusieurs d’entre eux, qui travaillent sûrement dans l’enseignement ou au gouvernement se reconnaîtront. Il y a des jésuites qui n’ont pas de soutanes.* Dès la fondation de la Compagnie, le militant jésuite devait être un intellectuel, il fallait qu’il soit proche du pouvoir: une éminence grise; c’était un homme de science, de savoir, de compétence, qui s’intéressait à l’élite, il ne perdait pas son temps à s’occuper du peuple. On en rencontre encore aujourd’hui.»
Jacques Godbout, dont Opération Rimbaud est le dixième roman, a toujours écrit des histoires d’environ 160 pages, par manque de temps et pour ne pas embêter ses lecteurs. «Mais, dit-il, si vous insistez, il pourrait y avoir une suite. Il faudrait voir où en est Larochelle aujourd’hui. Il avait 35 ans en 1967, ça lui fait 65 ans; il vient probablement de se faire offrir
une retraite*…»
Opération Rimbaud
de Jacques Godbout
Écrit au «je» comme la très grande majorité des romans de Jacques Godbout, Opération Rimbaud, c’est d’abord et avant tout un personnage, le jésuite québécois Michel Larochelle, qui se définit à travers la voix que le romancier lui a donnée. Instruit mais non croyant, irrévérencieux mais poli, connaissant les codes à adopter pour préserver ses intérêts, expert en trafics de toutes sortes, pouvant aller jusqu’à tuer mais seulement en cas d’extrême nécessité.* Un salaud, mais qui peut aussi s’amouracher d’une belle Éthiopienne, et brillant dans la conversation et dans ses confidences à son carnet. Attachant, donc, avec quelques qualités. Mais magouilleur.* Le voici emporté dans une aventure abracadabrante, aux méandres complexes et aux péripéties multiples impossibles à résumer en quelques lignes. Au cour du récit, les Tables de la Loi que le héros est chargé – par leur détenteur, l’empereur Hailé Sélassié – de subtiliser pour les faire sortir du pays. Pour l’aider dans sa mission, un jeune homme et une jeune femme, qui sont les enfants illégitimes, mais reconnus et aimés, du roi des rois. Des espèces de voyous de bonne famille qui formeront un trio du tonnerre avec Larochelle, qui tombera amoureux de la fille. Un voyage en train d’Addis-Abeba à Djibouti, des assassinats de jésuites par une sombre confrérie de Frères Antiquaires, une virée à Harar sur les traces de madame Rimbaud, la fille du célèbre poète qui jadis «avait trompé Verlaine avec une fille du désert, exotique et rusée comme ses vers».* Le style de Jacques Godbout, limpide, coulant, est tout de même touffu; les références culturelles, historiques et religieuses s’y multiplient autant que les actions. Si tout y est à peu près vraisemblable, les ficelles sont parfois grosses. Il n’y a pas de psychologie, à point tel qu’on a par moments la sensation de lire un bon scénario, voire une bande dessinée. Léger et amusant, surtout pas ennuyant. Éd. du Seuil, 1999, 160 p. (R. B.)