Livres

Le Salon du livre de Paris : Québec love

C’est le grand tintamarre à Paris: la littérature québécoise débarque en masse au Salon du livre. Outre l’intérêt d’usage, quelles sont les véritables répercussions de cette foire?

La 19e édition du Salon du livre bat son plein depuis vendredi dernier et on n’a sans doute jamais autant parlé du Québec que ces derniers jours. La presse a fait grand état jeudi, journée de l’inauguration de l’événement, de la production québécoise, consacrant la une des principaux suppléments littéraires et une grande partie du contenu des hebdomadaires (sans compter les mensuels littéraires) à la présence de la «Belle Province» (expression fétiche des Français qui me sort par les oreilles!) à Paris.

Si les Français ont la réputation d’être bavards, ils sont en train de débaucher les écrivains québécois que l’on entend et que l’on voit partout, dans les très nombreux débats, rencontres, lectures publiques (formule qui, au dire d’une bibliothécaire rencontrée au Pavillon du Québec, est un excellent moyen pour les écrivains de vendre leurs livres) et Midis poétiques (organisés par le Groupe Ville-Marie littérature) auxquels le public assiste en très grand nombre.

Entre la fanfare Pourpour, composée de musiciens québécois habitués aux événements du genre, les stands des éditeurs québécois (plusieurs sont installés au Salon) et le personnel habituel du milieu littéraire, on se croirait, en fait, Place Bonaventure en plein mois de novembre… sauf pour l’organisation, toujours déficiente en France (par exemple, depuis l’ouverture au public, l’an dernier, de la Grande Bibliothèque de France, aussi appelée Bibliothèque François Mitterrand, le système informatique ne fonctionne toujours pas!).
Sur les lieux du Salon, qui se tient à la porte de Versailles, le Québec est représenté principalement par l’Espace librairie du Pavillon du Québec, regroupant sur trois cents mètres carrés une vaste sélection d’ouvrages préparée, entre autres, par des libraires québécois. Bien sûr, on retrouve dans cette sélection (environ quatre mille titres) de nombreux ouvrages sur la géographie et les «grands espaces» (autre charmante expression qui rend fou), mais également une représentation diversifiée et emblématique de ce qui se fait de mieux dans la littérature québécoise.

Les Français ne manquent donc pas de matière pour enrichir leur connaissance de notre littérature, du moins pendant la durée du Salon. En effet, tous les représentants s’accordent pour dire que notre principal problème demeure celui de la diffusion: une fois le Salon terminé, que restera-t-il de ces milliers de livres? Qu’adviendra-t-il de cette soixantaine de titres sélectionnés pour l’opération À la découverte du Québec _ qui identifie d’un bandeau les ouvrages mis en vedette?

Lors du débat intitulé Panorama de la littérature québécoise, animé lundi dernier par Marie-Andrée Lamontagne (directrice littéraire des éditions Leméac et membre du comité créé par l’ANEL pour le Salon), Guy Champagne (pdg des éditions Nota Bene et chercheur à l’Université Laval) soulevait, comme bien d’autres participants québécois au Salon, l’absence de stratégie et de structures (d’intérêt?) visant à une meilleure diffusion: celle-ci est, pour le moment, carrément déficiente, comme en témoignent de nombreux libraires et bibliothécaires qui déplorent le coût exorbitant des livres et les trop longs délais pour parvenir à leurs destinataires.
En fait, malgré la curiosité qui anime les visiteurs du Salon ces jours-ci, les livres ne trouvent pas leur chemin jusque dans les librairies françaises. C’est une situation que veut combattre Robert Beauchamp, directeur de la Librairie du Québec à Paris (et partenaire de l’Espace du livre québécois au Salon de Paris), qui a créé une nouvelle structure, Diffusion de l’édition québécoise, laquelle, malgré certaines erreurs (comme le soulignait Guy Champagne), pourrait contribuer à la diffusion du livre en France; ainsi que l’a fait remarquer à ce même débat Bertrand Gauthier, directeur général de La courte échelle, il faut s’assurer d’une présence constante sur le territoire français pour gagner quelques centimètres sur les rayons des librairies françaises.

Sortir du bois
Mais, en dehors des considérations commerciales, le plus grand débat aura certainement porté sur la nature et la définition de la littérature québécoise. En effet, les Français ont été très souvent bousculés par les interventions des écrivains québécois qui, pour une fois qu’ils avaient la parole, ont mis en pièces les préjugés qui perdurent en France sur notre production littéraire et sur notre culture; «Non, les Québécois ne parlent pas tous le joual», a déclaré, entre autres, Chrystine Brouillet, faisant allusion à ce petit carnet d’expressions québécoises exotiques qui a scandalisé bien du monde de chez nous…

Lors d’une rencontre intitulée Sagas du nouveau monde (dont le thème a très vite été expédié, et au cours de laquelle Robert Charlebois, l’un des invités, a trouvé le moyen de «ploguer» sa bière…), Brouillet a poursuivi sa croisade et dénoncé l’image d’Épinal de la littérature québécoise, insistant sur son caractère moderne, sa pluralité, ce qu’ont confirmé bien des auteurs dans tous les débats portant sur l’américanité.

C’est d’ailleurs ce thème qui a le plus renouvelé le discours d’ici sur la littérature québécoise, et qui a aussi le plus intrigué: n’est-il pas provocateur de se proclamer «Américain» alors que l’intelligentsia française fait tout pour résister à l’influence américaine? Ainsi que l’a déclaré David Homel au cours d’une rencontre animée par l’hebdo L’Événement, «le Québec est sans doute le seul endroit au monde où l’on aime encore les Américains»… C’était peut-être une boutade, mais son intervention a permis une discussion au cours de laquelle les participants ont pu expliquer, le plus simplement du monde, ce qu’est aujourd’hui la littérature québécoise.

En effet, alors qu’on a beaucoup mis l’accent au Salon sur la littérature migrante (autant qu’au Québec, d’ailleurs), Sergio Kokis a témoigné avec une grande verve de son expérience à la fois d’écrivain et d’immigré, démontrant du coup comment la société québécoise permet l’intégration de la «différence» (par son ouverture aux arrivants de toutes origines) et, simultanément, celle de l’expression de plusieurs courants littéraires: on n’est plus obligé d’écrire des romans nationalistes pour faire une littérature québécoise, comme cela a déjà été le cas dans les années 60 et 70, ce qu’a confirmé Jacques Godbout, bien connu des lecteurs d’ici.

Souveraineté littéraire
C’est probablement par cette nouvelle expérience de notre littérature que le public français comprend le mieux le changement qu’a connu le Québec des dernières années. La littérature «migrante» a suscité une curiosité et posé le problème de la langue d’une manière nouvelle. Lors du débat évoqué plus haut, Neil Bissoondath a indiqué en quoi le nationalisme québécois a contribué au développement de la langue française (ce qui nous vaut la plus grande reconnaissance des Français), et, par le fait même, à l’autonomisation de l’institution littéraire québécoise. La souveraineté ne s’est peut-être pas réalisée, mais celle de la littérature a bel et bien eu lieu, elle s’est enfin affranchie de l’autorité de la France, comme l’avait souligné, entre autres, Maxime-Olivier Moutier (le plus jeune de nos représentants).

L’émission de Bernard Pivot (qui sera diffusée à Montréal le dimanche 28 mars) en a été la preuve. Malgré quelques marques de son paternalisme légendaire, le célèbre animateur a délaissé le folklore québécois pour insister sur la richesse littéraire des romans de Dany Laferrière, Gaétan Soucy et Robert Lalonde, écrivains qui figuraient au programme de l’émission. Après la diffusion de Bouillon de culture, vendredi dernier, les ventes du livre québécois, et notamment de La petite fille qui aimait trop les allumettes (éd. du Boréal) et d’Un pays sans chapeau (Lanctôt éditeur), ont grimpé en flèche: en fait, Soucy et Laferrière sont sans nul doute les découvertes de ce Salon.