Masca ou Édith, Clara et les autres : La dernière scène
Cette fin de siècle a inspiré à LISE BLOUIN l’histoire d’une famille qui ne franchit pas sans heurts le cap de l’an 2000.
Lise Blouin a voulu marquer à sa manière la venue du nouveau millénaire. Sur fond d’effervescence planétaire, l’auteure d’Élise à la folie (1989) et de L’Absente (1993) nous montre une fois encore les séquelles de l’amour à sens unique. Avec Masca ou Édith, Clara et les autres, la romancière compose par bribes l’univers cassé des membres d’une famille où l’amour a causé plus de ravages que de bonheurs.
Élevés à la campagne, dans les décors du théâtre Masca, Hubert et Chloé apprennent tôt à se laisser guider par leur cour et leur imaginaire. Entre Édith, une mère excentrique et fondatrice du théâtre, et Victor, son dentiste de mari, les enfants ont la tête dans les nuages plus souvent que les pieds sur terre.
En 1999, à Masca, le rêve se mêle à la réalité. Les fantaisies d’Édith trouvent alors leur apothéose dans la folle organisation d’un grand festival soulignant le tournant du millénaire. Hubert, de son côté, a d’autres intérêts. Il a découvert, dans un coffre, la correspondance à teneur érotique de la belle Clara, stagiaire à Masca et de vingt-cinq ans son aînée. Y sont évoqués, dans une imagerie savoureuse, tous les plaisirs de la chair.
Hubert a bientôt pour Clara un amour sans bornes, qu’il n’hésite pas à lui dévoiler. Un amour qu’elle va lui rendre, sur le plan physique, mais son cour appartient à un autre, un certain R…, le mystérieux correspondant dont elle a perdu la trace mais compte bien la retrouver un jour. N’empêche, Clara comble, en apparence, le jeune homme qui se consume pour elle et veut connaître tous les jeux de la volupté. Au point qu’il quitte sa famille et son pays, un beau jour, pour partir avec elle.
Après des années de voyage et d’amour, en Amérique et en Europe, Hubert n’est encore pour Clara qu’un fidèle amant, rien de plus. Elle va soudain le quitter, comme on jette un vêtement confortable. Brisé, Hubert s’exile à Paris, où il exercera le boulot de journaliste sportif. Entre deux tournois de tennis, la solitude est devenue son repère, tant Clara demeure présente en lui.
Quand elle débarque en France, Chloé trouve son frère anéanti. Terrifié, au départ, d’être visité dans sa douleur, Hubert va se raconter à cette oreille attentive. Mais lui aussi aura des secrets à recueillir: «Paris sera dorénavant pour Chloé un livre de confidence. […] Y sont inscrits maintenant leurs mots comme autant de pierres à décrypter afin de remonter jusqu’aux jours partagés, arrimer leurs souvenirs, se retrouver des airs de famille.» Les masques tombent un à un, et Chloé cherche à sauver son frère, qui essaie tant bien que mal de comprendre ce qui lui est arrivé. «Hubert veut croire que son geste a été engendré par l’atmosphère fébrile de cette fin de siècle, comme si alors il fallait tout connaître, tout expérimenter avant le grand tournant.»
Masca nous mène dans un territoire dense, délicieusement érotique parfois, sensuel toujours, où ce qu’il y a de mieux réussi demeure la justesse des relations entre les personnages. Le rapport entre Hubert et Chloé, central, est très fort et fait la valeur d’un roman touchant, mais dont la construction est surchargée. L’importance accordée au passage à l’an deux mille, par exemple, n’a aucun intérêt. L’essentiel n’est absolument pas là, dans le cap que représente l’année 1999, cette «année à vivre entre toutes». L’essentiel réside dans cette relation frère-sour, à travers laquelle un passé indigeste se manifeste, rendant possible un avenir. L’histoire n’aurait strictement rien perdu, au contraire, en évoluant sans le paramètre inutile du tournant du siècle.
Masca ou Édith, Clara et les autres,
de Lise Blouin
Éditions Triptyque
1999, 228 pages