Bien que la vision française de la littérature québécoise ait été bousculée pendant les derniers jours, il y a encore à faire pour que notre littérature s’implante réellement là-bas. Le bruit court depuis quelques jours dans le milieu qu’on instaurerait un Bureau du livre québécois en France. «Pas si vite! lançait le président de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), Pascal Assathiany, joint au téléphone quelques jours après la clôture du Salon, à Paris. Il reconnaît l’importance de la chose, mais se montre circonspect. «L’idée est très belle, mais il faut voir quelle structure on va donner à ce Bureau, trouver des formules qui satisfassent tous les partenaires, et ces décisions sont difficiles à prendre. Mais il faut trouver une manière de rester présent, de maintenir le livre québécois ici. C’est notre prochaine étape.»
Bien que plusieurs chroniqueurs, éditeurs et écrivains tempèrent les succès du Salon à Paris, Assathiany, lui, se dit satisfait de l’événement. «On a vendu 400 livres à l’heure, pendant les heures d’ouverture, ce qui n’est déjà pas mal. De nombreuses ententes ont été prises, même si rien n’est vraiment signé, mais je sais que plusieurs maisons d’édition ont conclu des ententes de diffusion, comme Nota Bene et HMH, par exemple. On verra comment tout ça se concrétisera.»
Pour Gilles Pellerin, directeur des éditions L’instant même, et présent au Salon, l’événement n’aura pas changé grand-chose. «Je ne veux pas être pessimiste, mais le mur auquel on se butait est toujours là… Claude Cherki, directeur des éditions du Seuil, et avec qui j’ai eu un échange musclé lors d’un débat, a bien fait comprendre qu’il y a un refus de la part de la France de laisser les Québécois pénétrer le marché français, et ce, pour des raisons strictement commerciales. Alors vous voyez bien qu’on n’est pas sortis du bois… Cherki a même dit qu’il n’existe pas de littérature québécoise!»
Beaucoup d’écrivains ont de plus été approchés par des éditeurs français; l’ensemble de l’ouvre de Kokis sera publié chez l’Aube, deux titres de Gaétan Soucy paraîtront chez Points Seuil, tandis que Seuil publiera La petite fille qui aimait trop les allumettes, roman encensé par Pierre Lepape, célèbre critique du Monde littéraire, il y a deux semaines. Trevor Ferguson, qui publie incidemment un polar, City of Ice, aux États-Unis, verra ses romans sortir chez Grasset.
Tant mieux pour tous ces écrivains. Mais qu’en est-il de l’édition québécoise de leurs ouvres? Le président de l’ANEL a souvent dit et répété au cours de ce Salon parisien que le Québec n’allait pas se laisser imposer des auteurs québécois… publiés en France, situation perverse que dénoncent avec raison de nombreux observateurs du milieu du livre (dont Carole David, qui critiquait cette pratique dans nos pages il y a quelques mois). «Le respect des territoires reste pour moi un point central de la bonne marche de nos affaires, assure Assathiany, également directeur général des Éditions du Boréal. Mais, au bout du compte, ce sont les écrivains eux-mêmes qui décident: ce sont qui acceptent ou refusent les contrats qu’on leur offre.»
De l’extérieur, on regarde d’un mauvais oil ces écrivains qui décident de donner l’exclusivité de leur ouvre aux éditeurs français. Mais quand on gagne sa vie uniquement avec ses livres (qu’on n’est ni journaliste, ni éditeur, ni rien d’autre), n’est-il pas compréhensible de vouloir vendre sur les territoires les plus populeux?
Ce Salon, comme le dit Pellerin, aura au moins permis «qu’on fasse avancer le débat». Mais il ne faudrait surtout pas s’asseoir sur quelques lauriers en se donnant l’illusion de la victoire.