Livres

Ces artistes qui écrivent : Sphère célèbre

Des personnalités d’horizons divers prennent la plume et investissent le marché du livre. Coups de cour d’éditeurs ou coups de fric anticipés?

Qui figure à la tête des listes de best-sellers québécois depuis quelques semaines? Robert Lalonde? Claire Martin? Pas du tout. Ces jours-ci, le marché du livre québécois est dominé par des personnalités que l’on s’attend plutôt à voir en lice pour un Félix ou un MétroStar. Se faufilant entre La petite fille qui aimait trop les allumettes de Soucy et La Cérémonie des anges de Marie Laberge, On dirait ma femme… en mieux, du chanteur Robert Charlebois, a occupé le sommet du palmarès publié dans Le Devoir pendant deux semaines consécutives. Résistant aux assauts de Dominique Demers, il fut délogé par Taxi pour la liberté, le premier roman de… Gilles Gougeon.

Ce n’est pas d’hier que les éditeurs québécois publient, avec plus ou moins de succès, des fictions écrites par des «célébrités». Stanké a déjà lancé un roman du journaliste sportif Richard Garneau, Boréal a tenté sa chance avec Claude Charron, récidivé avec Nathalie Petrowski, puis réussi un bon coup avec Lise Bissonnette. Et cette pratique va croissante: en plus de premières ouvres de Gougeon et de Charlebois, on a eu droit cette année à celles du comédien Raymond Cloutier, de l’animateur Michel Désautels, de l’ex-top modèle Audrey Benoît et de Ghislain Taschereau, alias Bob Binette des Bleus Poudre.

On comprend sans mal l’intérêt que trouvent les éditeurs à publier de «jeunes» auteurs déjà connus du public _ et des médias. Dans le milieu de l’édition comme ailleurs, la publicité est le nerf de la guerre. La «plogue» gratuite à la télé vaut son pesant d’or, bien sûr. Certains éditeurs refusent de l’avouer, mais les talk-shows préfèrent les Gilles Gougeon aux romanciers inconnus. Robert Charlebois en a d’ailleurs fait la preuve: son lancement a été couvert, en direct, par le magazine télévisé Flash, et on l’a vu à toutes les émissions de fin de soirée.

L’effet de ces visites à la télé ne se fait pas attendre. «Dès qu’un auteur passe à la télévision, les ventes montent en flèche», affirme Sarah Gauthier, de la Bouquinerie de Cartier. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le nom «Robert Charlebois» imprimé sur un bouquin ne suffit pas à le vendre. «Le nom attire, concède Michel Corbeau, de la Librairie Garneau des Galeries de la Capitale, mais les ventes n’ont pas vraiment démarré avant qu’il n’ait fait le tour des talk-shows.» Et après que la critique l’ait massacré? «Les ventes étaient déjà faites», laisse tomber M. Corbeau.

Aveux
Les personnalités, c’est vendeur; Jacques Lanctôt en est convaincu. «C’est plus facile à promouvoir», confirme l’éditeur de Raymond Cloutier et d’Audrey Benoît. Sans faire de manières, le directeur de Lanctôt Éditeur admet rechercher les manuscrits de gens connus du public. C’est d’ailleurs en feuilletant des magazines tels 7 jours et Le Lundi qu’il a appris que Raymond Cloutier et Audrey Benoît préparaient chacun un roman. «Si ces livres marchent, tant mieux», s’exclame-t-il, précisant qu’un tel succès lui permettrait de publier des auteurs moins connus.

Chez Boréal, on tient un discours plus nuancé. «Lise Bissonnette et Nathalie Petrowski sont des journalistes, précise d’emblée Jean Bernier, éditeur. Le journalisme semble mener de façon tout à fait naturelle à l’écriture romanesque. Et je crois que c’est vrai», tranche-t-il. Sans nier qu’il peut être très profitable de publier l’ouvre d’une personnalité, M. Bernier croit que la meilleure façon de vendre ou de ne pas vendre un livre demeure le bouche à oreille. L’ouvre doit parler d’elle-même. Privilégier les vedettes? Il n’en voit pas l’intérêt. «À moyen terme, c’est la qualité des livres qui fait en sorte qu’ils se vendent ou non. Jouer uniquement sur la célébrité d’un auteur serait un calcul à très courte vue de la part d’un éditeur.»