La place des femmes en littérature : Dames plumes
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La place des femmes en littérature : Dames plumes

Depuis quelques années, elles occupent les devants de la scène littéraire. Les femmes lisent et écrivent davantage, et on leur reconnaît volontiers une sensibilité propre. La littérature a-t-elle un genre?

On parle beaucoup, depuis quelque temps, de la place occupée par les femmes dans l’univers du livre. Que l’on soit ou non d’accord avec l’idée d’une littérature sexuée, force est de constater l’importance (en nombre de bouquins et en qualité) de la production féminine.

Au Québec, parmi les meilleurs vendeurs, les Micheline Lachance, Marie Laberge, Chrystine Brouillet et Dominique Demers côtoient de près les Yves Beauchemin et Michel Tremblay. La réception aussi, pour une large part, est féminine. Parmi les 60 % de la population québécoise qui lit souvent ou assez souvent (une vingtaine de livres par année), près de 70 % sont des femmes.

Si les femmes écrivent depuis toujours, et le font bien, ce n’est que depuis peu que leur revient toute la place qui leur est due. En survolant l’histoire de notre littérature, on ne peut fermer les yeux sur le succès d’estime ou de vente rencontré, en leur temps, par Laure Conan, Germaine Guèvremont ou, plus tard, par Gabrielle Roy et la jeune Anne Hébert, mais leurs ouvres demeurent des exceptions dans le paysage littéraire d’alors. L’appareil critique et le milieu de l’édition, pour le moins, étaient essentiellement masculins, ce qui a changé depuis _ même si les conseils d’administration des grandes maisons d’édition sont, encore aujourd’hui, en majeure partie composés d’hommes.

Peut-être n’assistons-nous qu’à un juste retour des choses, à une tendance que l’on peut vérifier dans tous les secteurs de la société. Pourquoi faire tant de cas de cette équité nouvelle, diront certains? Après tout, on n’a jamais remis en question la place des hommes en littérature.

Le phénomène est loin d’être exclusif au Québec. En France, on cherche actuellement à comprendre, puis à évaluer, l’apport des femmes dans le sacro-saint monde des lettres. Là-bas, la littérature est objet de culte et le domaine a longtemps été une affaire d’hommes (et ce malgré l’ouvre de premier plan, dès le XVIIe siècle, d’une Madame de La Fayette ou, un siècle plus tard, de la Comtesse de Ségur), mais voilà la tendance clairement inversée. La présence féminine n’est pas que proportionnelle, d’ailleurs: plusieurs s’accordent pour dire que ces dames apportent un précieux sang neuf. Bernard Pivot disait récemment: «Elles ont du culot! Je trouve que les femmes d’aujourd’hui osent des histoires que les hommes, plus réservés, plus guindés, n’écriraient jamais. […] Ce sont des histoires de vie quotidienne, souvent crues et cruelles, sans tabous ni principes. Dès leurs premiers romans, les femmes ont du culot _ pensez donc à Marie Darrieussecq _ tandis que les hommes se soucient d’abord d’être des "professionnels".»

Revenons chez nous. Difficile de dire si les femmes bousculent à ce point le monde des lettres, mais, chose certaine, elles sont bien là et se font remarquer. L’importance de la représentation des femmes en lice pour les prix littéraires majeurs, par exemple, est indéniable (parmi les récents Prix du Gouverneur général, on en compte une majorité qui sont allés à des femmes, dont Christiane Frenette et Suzanne Jacob, l’an dernier, respectivement en roman et en poésie).

Dans le domaine très rentable de la littérature jeunesse, la réussite féminine crève les yeux. Sylvie Desrosiers, Dominique Demers et quelques autres vendent des dizaines de milliers de livres et sont traduites en plusieurs langues. Sont-elles restées plus proches de leur enfance? Trouvent-elles mieux les mots qu’il faut pour s’adresser aux jeunes?

En littérature de science-fiction également, on a parfois l’impression qu’elles font la pluie et le beau temps. Les noms d’Élisabeth Vonarburg, de Francine Pelletier ou d’Esther Rochon sont désormais indissociables de la science-fiction québécoise, sinon francophone.

Qu’elles soient nombreuses et talentueuses à souhait est une chose, mais peut-on dire que les femmes écrivent différemment, avec plus de doigté, surtout quand il s’agit du cour et de l’émotion? Il faudrait bien plus que ces quelques lignes pour tenir le débat. Elles-mêmes ne s’entendent pas toutes sur la question, d’ailleurs. Mais n’est-ce pas un faux débat? Un débat futile, pour le moins? Interrogée à ce sujet, Nathalie Sarraute répondait: «Quand j’écris, je ne suis ni homme ni femme, ni chien ni chat.»

Sans aller aussi loin dans le flou, on peut dire sans grande crainte de se tromper que le sexe n’est qu’un élément parmi d’autres dans le bagage où puise l’écrivain. Si les femmes connaissent autant de succès, il faut l’attribuer avant tout à la pertinence de leurs écrits.

Ce qui compte le plus, en fait, et qui doit faire la fierté des hommes comme des femmes, c’est qu’aujourd’hui, George Sand signerait certainement Aurore Dupi.