Robert LalondeLe Vacarmeur/Le Vaste Monde : Grandeur nature
Publiant deux livres coup sur coup, ROBERT LALONDE nous confie quelques réflexions sur sa vision du métier d’écrivain, ses thèmes favoris et son insoumission aux genres littéraires.
De tous les écrivains québécois présents au Salon du livre de Paris, on dit qu’il était le plus convoité par les médias. Non seulement l’auteur du Dernier Été des Indiens, qui est aussi comédien, a-t-il dû déplacer des heures de tournage d’une série télévisée pour participer à l’émission de Bernard Pivot, mais, au moment où nous l’avons rencontré, les journalistes français se succédaient à sa porte. C’était quelques jours avant son départ, et Robert Lalonde, tout juste sorti d’une tournée de Roméo et Juliette, s’étonnait de voir autant de sollicitations à son égard. Il faut dire qu’il publiait coup sur coup deux livres: au Québec, Le Vacarmeur (Éd. du Boréal) et, en France, Le Vaste Monde (Éd. du Seuil). De quoi aviver la curiosité!
Le marché aux illusions
Pour l’écrivain, qui a quand même fait paraître six de ses huit romans chez un éditeur français, les efforts pour se faire connaître de l’autre côté de l’Atlantique ont toujours donné de minces résultats. «Il faut être à la fois sans illusions et confiant», dit-il en se rapportant à la soudaine agitation autour de la participation québécoise au Salon du livre. «Dans mon cas, ça arrive au moment où j’y avais renoncé. Les voir débarquer ici, c’est merveilleux!» Il est en effet assez étonnant de constater que tous ces représentants des médias français ont tenu à venir le rencontrer à Montréal, en sachant qu’il s’en venait à Paris.
Toujours en butte aux idées reçues et aux façons de faire convenues, Robert Lalonde est un incorrigible empêcheur de penser en rond. Il s’amuse de la nouvelle stratégie qui consiste à présenter aux Français la littérature québécoise comme une littérature étrangère. «L’objectif est: comment faire pour les secouer assez longtemps pour qu’ils restent devant nous à nous écouter? L’an dernier, alors que le Brésil était l’invité d’honneur, ils ont trouvé le tour de dire qu’il n’y avait pas d’écrivains au Brésil… Mais avec nous, ils se sentent coupables, comme s’ils nous avaient négligés trop longtemps. De toute évidence, je fais partie pour eux d’une littérature qui s’exprime en français mais qui n’est pas française pantoute, qui les séduit, les touche, les émeut. Il y a aussi des écrivains d’ici qui refusent ou se dérobent à l’événement pour des raisons très légitimes, qui en ont ras le bol d’imaginer qu’il faut absolument aller en France pour faire quelque chose.»
Jeux sans frontière
L’éditeur annonce Le Vacarmeur comme la suite du Monde sur le flanc de la truite, paru en 1997. Sous-titré Notes sur l’art de voir, de lire et d’écrire, ce dernier livre, ni roman, ni nouvelles, ni essai, a connu un succès inattendu auprès du grand public. «On aurait pu croire que ça n’intéresserait que les mémères comme moi, les apprentis écrivains ou les amateurs de pêche», blague l’auteur, qui assure avoir vu son livre classé par certains libraires dans le rayon «Chasse et pêche». «Voilà ma surprise, poursuit-il, plus sérieux: voir que des gens ont voyagé là-dedans un peu comme dans une ouvre de fiction.»
Lorsque Le Devoir lui a demandé de tenir une chronique dans son édition du samedi, Robert Lalonde a voulu poursuivre l’exploration littéraire entreprise, où il tentait d’éclairer les méandres de la création en faisant appel aux auteurs qu’il chérit. «J’ai reçu un courrier abondant, dit-il, et beaucoup de gens me disaient: ça fait du bien de lire un écrivain qui parle des livres, mais pas comme un critique professionnel; qui lit tout et de toutes les époques. Les libraires, eux, me disent: "Tu parles constamment de livres qui ne sont pas sur les tablettes, qu’il faut commander." Et je leur rétorque: "oui, commandez-les, ça fait aussi partie de votre travail". Qu’il y ait juste l’actualité sur les rayons, il y a quelque chose de fou là-dedans!»
Voici donc, avec Le Vacarmeur, la suite et fin de cette prose passionnée où il est question d’écriture mais où la nature joue aussi un rôle de premier plan, comme toujours chez Lalonde, qui y rend compte, entre autres, de la souffrance engendrée par la mémorable tempête de verglas de janvier 1998. Puis, au fil de ses chroniques hebdomadaires, l’écrivain s’est mis un jour à revisiter son enfance avec ses yeux d’adulte. Son nouveau livre, Le Vaste Monde, sous-titré Scènes d’enfance, appartient à la même démarche.
L’auteur parle ici de «fiction» mais tient à marquer son goût pour un décloisonnement des genres. «Les Américains appellent ça narrative non fiction, explique-t-il: c’est vrai et ce n’est pas vrai, ça m’est arrivé ou ça aurait pu m’arriver, ou on m’a raconté ça. Et tout est sur le même pied.» Il donne en exemple le dernier roman de Jim Harrisson. «Harrisson fait de la poésie, du roman policier, du mémérage, du jaunisme et de la philosophie dans le même paragraphe! C’est un fouillis de grand talent; je pense que c’est là l’avenir de la littérature. La pensée amérindienne est très proche de ça, elle ne cloisonne pas les choses.»
Robert Lalonde, qui, comme Jim Harrisson, a du sang amérindien, y va donc dans ce livre de quelques histoires d’enfant fouineur, avide de tout connaître, de tout vivre. «Enfant, dit-il, il était toujours question de mon éparpillement, de mon incapacité à être à un seul endroit en un même temps, de mon imagination monstrueuse, de ma curiosité très mutilante pour les adultes, semble-t-il. Or, je suis resté indécrottablement quelqu’un qui hante les lieux où il n’a pas affaire, qui parle à des gens qu’il ne connaît pas. Bien des gens de ma famille vont reconnaître des choses là-dedans et vont me dire: "T’es bien comme t’étais quand t’étais petit: tu comprends les choses vraiment comme tu veux." Et c’est vrai! La vérité des faits ne m’intéresse pas. Je veux interpréter la force de ces événements qui se sont produits dans mon enfance; la question essentielle étant pour moi: est-on ce qu’on a choisi d’être?»
Le Vacarmeur
Éd. du Boréal
1999, 174 pages
Le Vaste Monde
Éd. du Seuil
1999, 173 pages
Le Vaste Monde
de Robert Lalonde
«C’est presque toujours, dans une famille, le rêveur qui l’emporte», écrivait Gabrielle Roy, citée en exergue de ce recueil de dix histoires qui nous rappellent que l’enfance a tout à voir avec le rêve. Dès le premier texte, Le diable le sait, le narrateur, qui sera le même jusqu’à la fin, redonne vie aux croyances nombreuses qui sévissaient dans sa famille. «Le mythe, chez nous, précédait et transcendait la réalité», écrit-il. «Prends garde, Vallier, le diable se cache dans les détails!» lui disait sa mère, et les grigris, porte-bonheur, potions et formules magiques visant à échapper à ses griffes étaient foison.
Vallier, convaincu d’avoir été amputé de ses ailes à la naissance, a un désir irrésistible de voler, qui, dans Oil de faucon, lui fera faire des sauts périlleux du haut de la grange. Plus loin, dans Le Montreur de tours, l’enfant espiègle trouvera un complice plus fantasque que lui en Jérôme, maître ès coups pendables qui allait en faire un «ardent incivilisé», mais qui disparut un jour pour s’engager dans une improbable guerre. Mais le joueur de tours se fait parfois aussi avoir, pour son bien, comme lorsque sa sour Alice, dans Les Mots magiques, lui fait expédier les lettres au "style ample et fleuri" d’un mystérieux oncle Hubert, qui marquera sa vocation d’écrivain à jamais.
L’éveil des sens, les premières caresses en solitaire au fond d’une chaloupe, l’émoi chavirant devant le spectacle d’une grosse femme de cirque s’exhibant devant les hommes du village, la pureté d’un amour pour une jeune fille sauvage, la passion d’un vieux pour le ruine-babines sont parmi les éléments composant ce livre de souvenirs réinventés. Dans un style qui paraît épuré, moins lyrique, Robert Lalonde fait revivre un passé disparu, retrouvant des dizaines d’expressions imagées correspondant parfois à de drôles de croyances. Hommage aux mots, à l’amitié, au temps, aux rêves de l’enfance.