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Arthur Golden : Geisha

Arthur Golden, quarante ans et prof de littérature, est diplômé de Harvard en histoire de l’art japonais. Toute la matière de son premier roman lui a été inspirée par les confidences de Mineko Iwasaki, et celles de Kiharu Nakamura, également geisha; Golden a aussi consulté l’autobiographie de Liza Dalby, «la seule Américaine qui soit devenue geisha». Le résultat après une dizaine d’années de recherches sur le sujet: un récit vivant, émouvant (malgré quelques faiblesses d’écriture), qui fait déjà l’objet d’une adaptation cinématographique signée Steven Spielberg.

Nous sommes dans les années trente. Sa femme disparue, un vieux pêcheur vend ses deux petites filles. Arrivées à Kyoto, Chiyo et Satsu sont séparées; Chiyo, sept ans, est plus belle et se voit donc promise à un meilleur avenir que sa sour. À cette époque, une Japonaise née d’une famille pauvre n’a guère le choix: ou elle est prostituée, ou elle est geisha.

Les années de formation que raconte Chiyo constituent sans aucun doute l’aspect le plus intéressant de ce roman. De son voyage en train à son arrivée dans la ville hostile, et dans ce monde sacré qu’est celui des geishas, la vie de Chiyo sera bâtie sur deux valeurs fondamentales: l’obéissance et la discrétion, deux «qualités» requises pour devenir une geisha enviée, célèbre et qu’on paie très cher.

La description de ce monde qu’on dit aujourd’hui disparu permet au lecteur occidental de poser un regard différent sur la condition féminine, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Chiyo appartient à un clan de geishas, appelé l’«okiya», composé uniquement de femmes et dirigé par la plus âgée d’entre elles. Chiyo doit devenir apprentie avant de prétendre au rôle qui l’attend. Pour y arriver, elle doit essuyer les insultes, la violence physique de ses supérieures, les perfidies d’une rivale jalouse de sa beauté, Hatsumomo, qui sème la terreur. Elle deviendra l’une des geishas les plus recherchées du Japon, aidée par Mameha, elle-même une célébrité.

Que font donc les geishas de si particulier? Elles «divertissent»; elles perfectionnent l’art de la danse, de la musique, connaissent tous les secrets de la cérémonie du thé, et surtout s’exercent à se rendre désirables tout en cultivant l’innocence: ainsi, Chiyo apprendra à verser du thé à un homme qu’on lui somme de convoiter, afin qu’il l’entretienne et assure ainsi la prospérité de l’okiya, en lui montrant juste assez de chair pour qu’il se sente privilégié, mais pas trop pour ne pas paraître déplacée.

Quand elle aura quinze ans, la virginité de Chiyo sera littéralement vendue aux enchères au plus offrant, le tout étant savamment orchestré par l’okiya. Les portraits d’hommes, dans le récit de cette narratrice, sont assez consternants. À part celui dont Chiyo s’éprend, tous sont considérés comme de vieux adolescents avides de chair fraîche, aveuglés par l’illusion d’être les rois du monde. Sans montrer de haine particulière ni de rancune, la jeune geisha se permet des remarques sarcastiques, à peine voilées, sur la violence exercée à son endroit à la fois par les femmes et les hommes de son entourage.

Pourtant, devenir geisha aura été sa libération, son affranchissement. En dépit d’une écriture simple, voire simplette, et du ton infantilisant du récit qui cadre mal avec la démarche autobiographique, Geisha constitue une lecture riche et passionnante. Mais il faut lire entre les lignes et laisser au vestiaire tous ses préjugés, ce qui est loin d’être facile.

Geisha,
d’Arthur Golden
Éd. JC Lattès,
1999, 525 pages