Gilles Marcotte : La Mort de Maurice Duplessis
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Gilles Marcotte : La Mort de Maurice Duplessis

Ça commence par un Commentaire de l’Épître aux Romains, de saint Paul, lu par le narrateur en un lieu incongru entre tous: une plage mexicaine. Et ça se termine comme s’est conclue une certaine époque du Québec: par la mort du Chef en 1959, telle que remémorée par un vieil homme, quarante ans plus tard.

L’Histoire, celle à grande échelle, croise donc le fer avec la petite dans le riche recueil de récits de Gilles Marcotte, également partagé entre l’introspection et l’observation d’autrui. Des hommes vieillissants, ou déjà mûrs, y examinent le parcours de leur vie.
Ainsi, dans l’excellente nouvelle éponyme, le narrateur convoque, comme un témoin essentiel de sa propre histoire, la figure emblématique de Duplessis, «celui dont la mort soudaine nous a précipités dans un monde nouveau». Pour tenter de trouver un sens à tout cela, il mêle son trajet personnel à une tentative de cerner l’intraitable politicien, qui revit à travers un ensemble de témoignages prenants. Doté d’un fils «qui n’aime pas le passé», il recense en fait l’héritage de cette cassure que fut la Révolution tranquille. La spiritualité, la famille, le couple. «Nous sommes coincés, piégés dans une interminable transition.»

En marge de ces longues nouvelles où la réflexion et la narration se nourrissent l’une l’autre, l’auteur et critique littéraire insère de courts mais éclairants récits où, en quelques pages, il saisit divers Inconnus. Les narrateurs prennent prétexte de petites incongruités, d’étonnantes dérogations à la normale, pour imaginer la vie, la trajectoire de ceux qu’ils observes. Un couple de touristes âgés qui s’écartent de leur groupe pour sillonner les rues du Vieux-Québec; un homme solitaire et trop bien habillé qui semble déplacé Au forum; un autre, encore, à la tenue «pauvre mais propre», au visage austère, surpris à la Place des Arts devant une opérette folichonne d’Offenbach… Des portraits dans lesquels le narrateur-voyeur s’immisce plus ou moins personnellement, avouant parfois son impuissance désolée à sonder ces êtres si différents de lui.

De ces individus anonymes à celui qui régna d’une poigne de fer sur le Québec, Gilles Marcotte mesure, d’une écriture précise et élégante, ce que l’on arrive à connaître et, surtout, tout ce que l’on ne connaît pas des autres. Cette part de mystère que chacun porte aussi en soi. «La vérité sur un homme? Sottise», décrète le narrateur du dernier récit.

Mais, comme le narrateur d’Autobiographie qui, «au terme de cet inventaire désordonné de [ses] anciennes peaux», n’en sait pas plus qu’auparavant, on y aura gagné «une histoire, des histoires». Éd. Boréal, 1999, 197 p.