Claude Duneton avec la collaboration d’E. Bigot : Histoire de la chanson française
Ce n’est pas un livre que cette Histoire de la chanson française en deux tomes (des origines à 1780, et de 1780 à 1860), de Claude Duneton: c’est une somme! Ainsi que dans les grands livres du Moyen-Âge, on trouve de tout dans cet ouvrage (ce qu’il faut entendre comme un hommage). Ces deux forts volumes constituent, tout à la fois, une anthologie de la chanson depuis les balbutiements de la langue française jusqu’à la deuxième moitié du 19e siècle, une collection de témoignages sur les chansonniers et l’impact de leurs réalisations, et un recueil de commentaires dans lesquels Duneton nous éclaire sur les relations que la chanson entretient avec les grands mouvements sociaux des époques qu’elle traverse.
Dans son introduction générale, l’auteur pose comme principe qu’on ne doit jamais se contenter de lire une chanson: il faut toujours la chantonner, quitte à s’inventer un air quand on ne connaît pas celui sur lequel le texte a été chanté. Pour reprendre l’exemple qu’il donne, qu’est-ce que le texte d’une chanson de Brassens peut bien vouloir dire si on ne le chante pas? Si on se contente de lire: «Quand Margot dégrafait son corsage / Pour donner la gou-goutte à son chat»… D’ailleurs, tout au long de cette Histoire de la chanson française, on s’étonne de découvrir dans l’ouvre de Brassens un condensé des quelque mille ans de tradition que nous dévoile Duneton.
La chanson française semble être par définition synonyme de truculence, de grivoiserie, tout autant que de tendresse. Il suffit de parcourir cet ouvrage pour faire des découvertes à toutes les pages. On y apprend par exemple qu’Au clair de la lune date de 1790, et qu’il s’agit d’une petite chanson érotique!
On y réalise aussi combien la langue du classicisme, l’idiome de Racine et de Corneille, est une création tout à fait artificielle; que les préciosités de ce que Walt Whitman décrivait comme «du français sur des échasses» manquent de vigueur, et pour le moins de verdeur, à côté de la paillardise des refrains populaires qu’on chantait à la même époque sur le Pont-Neuf de Paris, comme celui-ci, de Philippot, en 1665: «À présent je vous confesse / Que tout est plein de Cocus, / Que chacun bransle les fesses / Et qu’un chacun joue son cul. / Chacun fait cy, chacun fait ça, / Et tout le monde fait cela: / Tout le monde joue et tout le monde baise. / Tout le monde met cul bas.»
Claude Duneton continue l’entreprise qui a toujours été la sienne: démontrer que s’il est quelque chose de vraiment vivant et vivace dans la culture de langue française, c’est dans les expressions les plus populaires de cette tradition qu’on le trouve.
Touffus, bourrés d’anecdotes et d’information, les deux gros volumes de cette Histoire de la chanson française ne sont pas du genre qu’on lit d’une traite «d’un couvert à l’autre». Il faut les laisser traîner sur une table, les ouvrir pour lire quelques pages et fredonner quelques couplets… quand ça nous chante! Éd. du Seuil, 1998, 1087 et 1103 p.