Jean Giraud : Moebius/Giraud, histoire de mon double
L’autobiographie est un genre difficile, qui peut facilement conduire au péché d’orgueil. Mais lorsqu’on est l’un des plus grands représentants de son art, peut-on faire autrement que de laisser la modestie de côté? Figure dominante de la bande dessinée des trente dernières années, Jean Giraud (alias Gir, alias Moebius, alias Moeb) est très conscient de son importance, et sa totale absence de pudeur nous donne droit à des perles comme: «Je suis un pont: le seul dessinateur qui ait fait de la bande dessinée d’ancien régime, puis de la nouvelle BD et qui continue. Je suis un phénomène.»
Histoire de mon double, comme son titre l’indique, est d’abord un essai sur la nature bicéphale de l’auteur: en explorant les motivations des différentes facettes de son travail (le western classique avec Giraud et la s.-f. débridée avec Moebius), il se donne le recul nécessaire à une telle entreprise. Du coup, ses observations, détachées de toute contrainte chronologique («Moi et les dates, c’est la catastrophe», lance-t-il dès la première page), touchent du doigt les origines du geste artistique. Giraud explore ici les lieux fondateurs de son univers: l’Amérique, qu’il a dessinée avant de l’habiter; le Mexique, lieu de toutes les révélations (drogue, sexe et peinture), et la France, où la BD moderne a véritablement pris son envol. C’est durant cette dernière période, la plus historique, que les amateurs du neuvième art trouveront leur compte: on y croise les Goscinny, Mandryka, Druillet et autres compagnons de route des magazines Pilote, Métal Hurlant et Hara-Kiri. Mais c’est lorsqu’il parle de ses maîtres, notamment de Jodorowsky, l’un de ses principaux scénaristes, que Giraud retrouve une certaine modestie et montre enfin ses faiblesses et son humanité. Oscillant sans cesse entre l’imaginaire et le vécu, ce livre ambigu, comme son titre l’indique, prouve qu’il est difficile, voire impossible, de séparer l’homme de l’artiste. Éd. 1, 1999, 220 p.