Tecia Werbowski : Hôtel Polski
Voici le troisième livre en cinq ans publié par Tecia Werbowski, qui a le secret pour boucler de courts récits pleins de détails comme des petites portes qui s’ouvrent sur des mondes singuliers. Son récent L’Oblomova (1997) consistait en une sorte d’éloge de la paresse.
Elle nous offre à présent une histoire qui s’apparente davantage à son premier roman, Le Mur entre nous (1995), et tisse à nouveau un pont entre aujourd’hui et l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. Mais Hôtel Polski est avant tout une histoire d’amour, de passion, sensuelle et inattendue, et une ode à la mémoire.
L’héroïne est Eva Price, 46 ans, d’origine polonaise mais née à Montréal. Mariée, elle mène une vie confortable, presque trop tranquille, avec son mari et ses enfants. Une fois par année, elle se paie des vacances en solitaire à Paris.
Puis, voilà qu’un jour une lettre arrivée d’Allemagne, adressée à sa mère décédée depuis cinq ans déjà, va bouleverser son existence. Il y est question d’un homme, un Allemand que sa mère aurait connu en 1943 à l’hôtel Polski, à Varsovie. C’est la femme de celui-ci qui écrit: il vient de mourir et a laissé à son fils des documents et des objets appartenant à Anna Kamien, la mère d’Eva. «Qu’est-ce que c’est que ça?» se demande Eva.
Quelle relation sa mère avait-elle pu avoir avec un Allemand pendant la guerre? Et quel rapport avec l’hôtel Polski? Une affaire louche. «Maman était polonaise, ça, bien sûr, Eva le savait. Impossible qu’une Polonaise se fût liée d’amitié avec un Allemand pendant la guerre. Sauf si maman avait collaboré avec les Allemands. Mais ça, c’était d’une absurdité absolue.»
En quelques phrases, Tecia Werbowski, elle-même d’origine polonaise, fait bien sentir la complexité de l’événement qui va faire basculer la vie de son héroïne. Eva, qui est bibliothécaire, se met alors à faire des recherches sur Internet et découvre des choses plus que troublantes sur l’hôtel Polski de Varsovie. Cet endroit sans charme fut utilisé par les nazis pendant la guerre pour attirer les juifs fortunés à qui on remettait, en échange de leur argent et de leurs bijoux, un faux passeport et les moyens de quitter le pays. Sans leur dire, bien sûr, qu’on les envoyait dans les camps de la mort.
Sachant cela, Eva se rend en Europe pour y rencontrer le fils de Joachim Riegel, Heinrich, qui a été aussi bouleversé qu’elle d’apprendre récemment cet épisode caché de la vie de son père. Leur rencontre ne sera pas facile. La passion amoureuse qu’ils découvrent tous les deux, secret bien gardé depuis cinquante-cinq ans, les ébranle. Comment y réagir, et surtout que va-t-il, que doit-il se passer entre eux à présent?
Il faut lire Tecia Werbowski, dont l’art d’évocation concentré, la manière de lier passé et présent à travers des personnages concrets et attachants, en de si courts récits, subjuguent. Traduit de l’anglais par Christine Le Bouf. Éd. Actes Sud, 1999, 96 p.