Le Ramasseur de souffle : Chroniques de l'étrange
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Le Ramasseur de souffle : Chroniques de l’étrange

Il y a quelques mois, HUGUES CORRIVEAU publiait, coup sur coup, un roman et un recueil de poésie. Période faste, disions-nous. Mais ce n’était pas tout: il avait encore quelques nouvelles dans sa manche…

Une peintre excentrique dont la chevelure devient le plus éloquent des pinceaux; un cuisinier qui, souhaitant rompre avec les habitudes, offre à ses invités du cour d’agneau farci aux couilles; une ravissante nymphomane qui collectionne, tels des saints suaires, les empreintes des verges de ses amants: voilà autant de curieux personnages qui prennent corps dans Le Ramasseur de souffle, un recueil de nouvelles d’Hugues Corriveau.

Le prolifique auteur, qui nous a déjà donné une vingtaine de livres (romans, nouvelles, essais et poésies, dont Les Chevaux de Malaparte, Courants dangereux et Le Livre du frère), a ici rassemblé des pages écrites entre 1994 et 1998. Tous très brefs, les quinze textes qui composent le nouveau recueil sont des petits portraits tantôt drolatiques, tantôt tragiques, toujours quelque part entre l’imaginaire débridé du nouvelliste et la réalité la plus ordinaire. Voilà sans doute pourquoi nous pénétrons tout naturellement cet univers, parce qu’y sont présents les repères de la vraie vie. Chez Corriveau, les personnages demeurent tangibles, même quand ils évoluent dans le contexte le plus saugrenu.

Les nouvelles sont regroupées sous cinq thèmes: tableaux, meurtres, disparitions, gastronomies, éros. Divisions permettant à l’auteur d’explorer différents registres de l’obsession. Chacun des êtres présentés est obsédé, en effet, que ce soit par le sang, la mort, le langage, la chère ou bien la chair.

Dans Éden City, nous nous retrouvons à cheval entre l’âge adulte et l’enfance, le réel et l’imaginaire, la vie et la mort. Un professeur s’y tranche les veines et, petit à petit, goutte à goutte plutôt, quitte ce monde pour un autre _ non sans parcourir, en songe, celui de Gauguin et de ses «femmes brunes aux seins lourds».

La nouvelle-titre, Le Ramasseur de souffle, montre quant à elle un homme dont l’étonnante lubie est la conservation, dans des bocaux choisis avec soin et selon un rituel qui relève du cérémonial, de son propre souffle, cueilli à des moments marquants de sa vie. Entreprise dérisoire et magnifique, qui n’est pas sans évoquer celle de l’écrivain fixant un peu la vie dans chacun de ses écrits.

Partout dans ce recueil, on reconnaîtra le sens particulier de l’analogie et de la métaphore qui fait le style de Corriveau; style unique, encore salué, l’an dernier, lors de la parution du roman Parc univers. L’écriture est pleine d’une imagerie singulière, très belle. Dans Le Dernier Automne au Vermont, par exemple, où une vieille dame fait ses adieux à la vie: «Elle a beau prier, ouvrir les missels angéliques, aucune poésie n’en sort plus, aucun autre chant d’amour que l’hébétude de se savoir abandonnée. La vacuité de l’heure a aux manches des dentelles ajourées, de larges trous par où s’enfuient pensées et chagrin.»

Douces folies, folies démesurées, lubies secrètes. Le Ramasseur de souffle est le territoire de personnages plus grands que nature, mais dont la nature excessive nous rappelle intimement les excès qui sommeillent en nous.

Le ramasseur de souffle,
de Hugues Corriveau

L’instant même
1999, 118 pages