Diane-Monique Daviau : La mémoire et la mère
Livres

Diane-Monique Daviau : La mémoire et la mère

DIANE-MONIQUE DAVIAU publie un roman au titre étonnant, Ma mère et Gainsbourg. Un récit original sur la mort d’une mère. Troublant.

Avec cinq recueils de nouvelles et des dizaines de textes parus dans des revues, souvent lus à la radio, Diane-Monique Daviau assure une présence discrète mais sensible dans le paysage littéraire. Une présence de vingt années marquées par l’exigence de son écriture, par la justesse de son regard. Spécialiste de la littérature allemande, traductrice et professeure d’allemand, elle a aussi fait des chroniques à la radio de Radio-Canada, puis a signé des textes de critique dans Le Devoir, dans Liberté et dans Lettres québécoises.
Elle vient de publier un livre qui pourrait bien lui ouvrir le cour d’un large public. Récit d’inspiration autobiographique, Ma mère et Gainsbourg relate le choc dévastateur qu’a été la mort de sa mère et le lent travail de guérison, de «reconstruction» qui s’en est suivi.
Depuis Dessins à la plume et Histoires entre quatre murs (Éd. Hurtubise HMH, 1979 et 1981), qui furent suivis par L’autre, l’une (Éd. du Roseau, 1987, en collaboration avec Suzanne Robert), jusqu’à Dernier Accrochage (Éd. XYZ, 1990), et surtout ce recueil au titre magnifique: La vie passe comme une étoile filante: faites un vou (Éd. L’instant même, 1993), Diane-Monique Daviau a donné une ouvre multiple, vibrante, aux formes et aux sujets variés mais d’une qualité constante. Sans concession aux modes ou diktats ambiants, son écriture a la force des mots bien pesés entourés de silence.

Ce silence est palpable entre les lignes, au fil des pages de Ma mère et Gainsbourg. Il fallait une bonne dose de courage pour mettre en forme cette parole. «Pendant un an, après la mort de ma mère, j’ai repoussé l’idée d’écrire là-dessus, confirme l’écrivaine; je ne voulais pas que ce soit thérapeutique, même si on sait qu’il y a toujours de ça dans l’écriture. Mais au bout du compte, je pense avoir fait une ouvre littéraire: ce n’est pas une biographie, ce n’est pas une autobiographie, ni un témoignage ni un documentaire. Je ne voulais pas faire un livre pratique avec des conseils comme: comment traverser un deuil.»

Gainsbourg à la rescousse
«Une nuit, j’ai fait un rêve, poursuit-elle, où ma mère arrivait face à face avec Gainsbourg, et ç’a été le déclic; je me suis réveillée le matin et me suis dit: ma mère avec Gainsbourg, ça n’a pas d’allure! Ça m’ouvre la porte à la fiction: si Gainsbourg était dans le livre, il m’aiderait à désamorcer la tension, à éviter le pathos, parce que c’est une figure dérisoire, c’est un personnage qui me permettait de faire un contrepoint.»

Il faut le dire, il y a un tel poids de douleur, de frustration, d’impuissance, de colère, d’incompréhension dans la perte d’une mère, et de celle-là en particulier. Alors qu’elle était émotivement très loin de sa mère, Diane-Monique Daviau dit avoir ressenti sa disparition subite comme un choc tellurique. «Comment perdre une mère qu’on n’a jamais eue?» se demande-t-elle. Plus loin, elle écrit, constat terrible: «Ma mère ne me manque que morte.» Par l’écriture, elle entreprend un travail de mémoire, de mise en ordre, de décantation, tente de comprendre, de dénouer cette relation éprouvante.

«On se pose beaucoup de questions quand une personne part si rapidement et qu’on n’avait pas réglé ses conflits avec cette personne. Avec Gainsbourg, le créateur, donc la création, le romanesque sont entrés dans ma relation avec ma mère, c’est comme si j’avais le feu vert tout à coup. Le début m’est venu rapidement, j’avais mon titre et j’ai pensé tout de suite à Je t’aime moi non plus. Mais après, j’ai vraiment écrit ça au compte-gouttes, en pesant chaque phrase. Parfois, j’étais si étonnée de ce qui sortait, une image, un revirement… tu commences une phrase en pensant que tu vas dire: c’était blanc, et au fur et à mesure que tu avances dans la phrase, ça fait: mais non, c’était noir. Tu ne peux plus aller plus loin, il faut que tu t’arrêtes, que tu réfléchisses à ça.»

Amour impossible
Cet ouvrage aura demandé quatre ans et demi de gestation, de maturation. D’abord, il y a le déni, le refus, puis l’abîme qui s’ouvre sous ses pieds: «La mort de la mère nous met très concrètement devant quelque chose de métaphysique, note Diane-Monique Daviau; tu n’as plus de lien biologique, t’es la prochaine sur la liste, la personne qui t’a donné la vie s’en va dans la mort et elle emporte le germe de vie avec elle. C’est très troublant. Quand la narratrice se sent attirée par le cercueil, qu’elle a envie de s’y glisser, c’est difficile à expliquer… j’ai senti que l’origine de ma vie s’en allait et j’étais aspirée par cette vie qui partait. C’est comme couper le cordon une seconde fois. En même temps, ça te fait réaliser l’échéance, t’as envie d’être plus en vie que jamais.»

«Un jour, dans mille ans, j’aurai peut-être tout compris, tout accepté, tout pardonné…» écrit-elle quelque part dans le récit; mais après avoir écrit ce livre, l’auteure a-t-elle l’impression d’avoir atteint un état de sérénité? «Je ne me retrouve pas du tout là où je pensais me retrouver, dit-elle. Je m’attendais, comme c’est arrivé, à ce que ça clarifie des choses. Mais dans l’écriture, c’est vraiment la quête d’un amour impossible qui est passée et je ne m’attendais pas à ça. C’est ce qui est devenu prioritaire, la tentative de comprendre la grande perte que ça représentait, dans la mesure où il n’y a plus rien de possible. J’ai senti ce besoin de creuser pour peut-être trouver dans l’écriture une chaleur qu’il n’y avait pas eue entre nous dans la vie. J’ai rencontré les nouds qu’elle avait, je me suis cogné la tête sur des murs, sur les briques de sa prison mais c’était probablement le plus près que je pouvais m’approcher de ma mère…»

Ma mère et Gainsbourg

de Diane-Monique Daviau
Le sujet de la mort de la mère doit fatalement toucher chacun, chacune d’entre nous un jour ou l’autre. «Perdre ma mère a presque complètement changé ma vision du monde», écrit Diane-Monique Daviau, et elle dit croire que cette dévastation s’explique parce que cette mort-là contient toutes les autres. On comprendra aussi, en la lisant, que cette mère-là n’était pas comme toutes les autres. «Un enfant, ça se dompte. Un caractère, ça se casse», disait la mère de la narratrice. Celle-ci enchaîne: «Je "savais" depuis très tôt qu’elle allait, toute sa vie, s’employer à me casser, ma mère.» En tentant de faire le décompte de ce qui lui reste après la disparition, elle s’aperçoit qu’il n’y a rien, ou presque. Qu’un manque immense, à jamais impossible à combler. Elle va tout de même chercher, dépouiller des tas de paperasses pour trouver un secret, quelque chose qui permette de comprendre. En vain. Seule avec ses lambeaux de souvenirs, sa «robe trouée», elle évoque tout de même les rares moments de vrai bonheur. Puis la dernière rencontre, fortuite, à la banque, un moment tout à fait déchirant, bouleversant. En s’appuyant sur les mots, puis sur l’image contrastée, rassurante, de sa mère et de Gainsbourg réunis dans la mort, l’écrivaine brise un tabou et atteint une dimension universelle: «La mort n’est pas que naturelle et belle et noble… (…) La mort d’une mère a le droit d’être quelque chose de dérangeant, de dégoûtant, de troublant, de déroutant, de tragique, d’unique, de fascinant, de prenant, de bouleversant, d’accaparant, d’effarant, d’effrayant, de sidérant, de paralysant, de secouant, de chavirant, de propulsant, de soulageant, de libérateur. Je le pense. Je l’écris comme je le pense.» Éd. de L’instant même, 1999, 186 p.