Maryse Rouy : Les Bourgeois de Minerve
Jeune Histoire oblige, le Moyen Âge est un champ romanesque peu exploré dans les livres d’ici. La romancière québécoise Maryse Rouy (Azalaïs ou la vie courtoise, 1995) s’en est pourtant fait une spécialité, elle qui nous offre une troisième ouvre campée dans l’Europe médiévale. Les Bourgeois de Minerve déroule au XIIIe siècle son intrigue fictive, dans un contexte documenté par les historiens.
Le roman s’amorce par une macabre découverte: le cadavre d’un Dominicain, gisant au pied des murailles qui ceignent Minerve. Un meurtre d’autant plus alarmant pour les Minervois que la petite cité du Languedoc a déjà subi les foudres de l’Inquisition, à cause des Cathares (eux-mêmes se prénomment «bons chrétiens»), des «hérétiques», et que ce culte aux accents ascétiques y est toujours célébré en secret par plusieurs familles. Or, cet assassinat mal venu ne manquera pas d’attirer chez eux un représentant de l’Église romaine, qui viendra mettre son nez dans leurs affaires…
Que faire alors? Le roman est divisé nettement en deux parties. La première expose les vains efforts du conseil municipal pour résoudre l’affaire à l’interne, avant d’avertir les autorités ecclésiastiques. La seconde s’ébranle avec l’arrivée de l’impitoyable inquisiteur dans le village miné par la peur et la suspicion, surtout chez les familles cathares qui se réunissent en catimini. Mais, malgré les dissensions religieuses, Minerve fait front contre l’austère Aurélien Barthès, dont le regard pénétrant n’épargne aucune faille morale.
Mais ce n’est pas vraiment le suspense qui intéresse Maryse Rouy. L’enquête obstinée de l’inquisiteur, et les inquiétudes qu’elle soulève, sert surtout à donner voix à de multiples personnages. À orchestrer, avec passablement de maîtrise, l’organisation sociale du village, et à nous faire pénétrer, tout naturellement, dans la vie quotidienne de l’époque. Plus que le crime, ce sont les petits secrets des uns et des autres qui sont mis à découvert, les désirs charnels et les haines. La vengeance de deux femmes, surtout, privées de leur homme à cause de la haine aveugle ou de l’envie des villageois, et dont la rancune devient l’un des pivots de l’intrigue.
L’auteure fait vivre sept familles, outre plusieurs personnages satellites, ce qui est un exploit en soi. Pour cette raison, certains personnages restent parfois un peu schématiques, définis par un amour, un désir. Mais l’ensemble se révèle convaincant.
Gaillarde, la belle prostituée de Minerve, qui couve un terrible secret et se dresse avec force contre l’hypocrisie des bien-pensants, ressort comme une figure particulièrement prenante. Éd. Québec/Amérique, 1999, 315 p.