Guy Gavriel Kay : Le pays des merveilles
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Guy Gavriel Kay : Le pays des merveilles

Connu pour son travail sur un livre posthume de Tolkien, GUY GAVRIEL KAY, écrivain torontois, a également développé son propre style et une ouvre bien à lui. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son septième roman.

Considéré comme l’auteur canadien le plus lu dans le monde, Guy Gavriel Kay est traduits en quatorze langues; il est également le premier auteur à avoir publié simultanément deux romans: l’un en français et l’autre en anglais. En effet, en octobre dernier, Kay lançait Tigane (Éd. Alire) et Sailing to Sarantinum (Éd. Vicking); et c’est à l’occasion de son passage à Montréal, il y a quelques semaines, pour la parution de son sixième livre traduit en français, Les Lions d’Al-Rassan (aussi aux Éd. Alire), que nous avons rencontré l’auteur.

Questions de genre
Une fois qu’on l’a découvert, on revient toujours dans l’univers de Guy Gavriel Kay. Cet univers, décrit comme de la fantasy, est peuplé d’êtres hors du commun, courageux et fiers, à la recherche d’un idéal de liberté, d’amour, de richesse et de pouvoir..

Il n’est pas facile de décrire en quelques mots le style de Kay. Et dire qu’il écrit de la fantasy est trop simpliste. «À mon sens, explique l’auteur, je n’essaie pas de m’éloigner de la fantasy mais plutôt de la changer, d’élargir ses limites. Je ne suis pas le seul auteur en train de construire un pont entre la fantasy et la littérature de fiction populaire. Je n’aime pas discuter de la catégorie à laquelle appartiennent mes livres, parce que c’est m’imposer des limites. Quand je parle d’un livre, ce qui m’intéresse, c’est de savoir s’il est bon et quelles étaient les intentions de l’auteur en l’écrivant.»

Quand il a écrit La Tapisserie de Fionavar (1994-1995, Éd. Québec/Amérique), l’auteur s’intéressait particulièrement aux mythes et aux légendes. «J’ai choisi d’introduire des gens de notre époque dans un monde de fantasy, peuplé de dieux et de déesses. Puis, quand j’ai écrit Tigane (et encore plus aujourd’hui), je m’intéressais surtout au conflit entre les hommes et les femmes. C’est ce changement de perspective qui fait la différence entre un livre de fantasy comme Fionavar et mes autres romans. Dans Tigane, la magie et la sorcellerie ne sont qu’un outil supplémentaire servant efficacement l’histoire», conclut l’auteur.

Dans Les Lions d’Al-Rassan, Kay abandonne complètement l’utilisation des éléments de la littérature de fantasy pour s’intéresser à ce qui sépare les gens ordinaires pendant une guerre sainte. «L’espace où les hommes et les femmes peuvent se rencontrer et communiquer disparaît; ils perdent la capacité de communiquer, aux dépens de leurs idéologies. C’est arrivé en Espagne pendant le Moyen-Âge, et ça se reproduit aujourd’hui. Je ne voulais pas utiliser la magie dans Les Lions d’Al-Rassan afin que les lecteurs puissent s’identifier à l’histoire», explique Kay. Cela dit, il ne voulait pas non plus s’ériger en dictateur en disant aux lecteurs quoi penser. «Cependant, ajoute-t-il, j’aime les faire réfléchir une fois le livre terminé.»

Le droit d’écrire
Guy Gavriel Kay sera probablement toujours associé à la fantasy à cause d’un livre, le Silmarillion, ouvrage posthume de J. R. R. Tolkien, à l’édition duquel il a collaboré. «Ma décision de devenir écrivain fut très pragmatique, lance Kay. La proportion d’auteurs canadiens capables de vivre de leur plume étant minime, je n’avais jamais pensé un jour être dans ma position actuelle. En fait, je croyais que j’allais pratiquer le droit, tout en essayant de trouver le temps d’écrire.»

D’ailleurs, à ses débuts, Kay été scénariste pour la radio et la télévision, notamment pour la série The Scales of Justice, produite par le réseau anglais de Radio-Canada. «Je n’ai jamais pris de cours de littérature, je n’y crois pas. Pour devenir écrivain, il faut lire et écrire», assure celui qui aurait également aimé être joueur de hockey. C’est suite à un concours de circonstances qu’en 1974, Kay, alors âgé de 20 ans, a collaboré à l’écriture de Silmarillion. «La seconde épouse de Tolkien, d’origine canadienne, connaissait mes parents. J’avais donc rencontré Christopher, le fils de J. R. R., à quelques reprises. Quand ce dernier est mort, Christopher a été choisi pour compléter le Silmarillion et il m’a engagé pour l’aider. Je suis donc allé à Oxford pendant un an. C’est pendant cette année que j’ai réalisé que je pouvais devenir auteur», se rappelle Kay. Toutefois, il ajoute que si Tolkien l’a exposé à la fantasy, depuis Fionavar, son style d’écriture a évolué, et à son grand bonheur, ses lecteurs le suivent sur cette nouvelle route.

Tigane

Tigane, c’est la bataille d’une poignée d’hommes et de femmes pour la reconquête de leurs origines, de leur identité, du pays qui les a vus naître. Deux rois-sorciers, Brandin Dygrath et Alberico de Barbadior, se disputent le contrôle des provinces de la Palme. Parmi celles-ci, Tigane, devenue la Basse-Corte après la bataille de la Deisa et la mort du fils de Brandin qui a, dans sa douleur, oblitéré, par la sorcellerie, tout souvenir de la cité des Tours. En deux tomes, Kay nous fait pénétrer dans un univers où la magie fait partie du quotidien et où les personnages, par leur humanité et leur complexité, nous entraînent à leur suite dans la poursuite de leur idéal. Éd. Alire, 2 tomes, 487 p. et 342 p., 1998. (C. F.)

Les Lions d’Al-Rassan
L’affirmation de son identité et de ses origines est souvent présente dans les histoires de Guy Gavriel Kay. Les Lions d’Al-Rassan ne fait pas exception. Toutefois, dans cette nouvelle histoire, l’écrivain va plus loin en confrontant l’art, l’amour et le respect à la folie des guerres dévastatrices. Trois êtres hors du commun voient leurs destinées modelées par les guerres saintes qui se préparent entre trois peuples: les Asharites, les Jaddites et les Kindaths, pour le contrôle de l’Al-Rassan. Tout d’abord, Jehane bet Ishak, médecin kindath, femme de tête et de cour qui devra choisir entre l’amour de deux hommes: le capitaine Rodrigo Belmonte, prestigieux chef de guerre jaddite, et Ammar ibn Khairan, poète, guerrier asharite et assassin du dernier khalife de l’Al-Rassan. Plus encore que dans Tigane, Kay réussit à décrire, comme dans un long poème, l’ambiance survoltée qui règne quand on sait que plus rien ne sera jamais pareil. Mentionnons l’excellente traduction d’Élisabeth Vonarburg. Éd. Alire, 1999, 653 p. (C. F.)