Pascale Roze : Ferraille
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Pascale Roze : Ferraille

Il y aura bientôt cinq ans, Pascale Roze voyait son premier roman, Le Chasseur Zéro (Albin Michel), couronné non seulement du Prix du Premier Roman, mais aussi du Goncourt – une chance inouïe, inespérée, pour cette jeune femme qui avait trimbalé son manuscrit d’un éditeur à l’autre pendant un an avant de le voir enfin accepté. Déjà à l’époque du Chasseur Zéro, l’auteure se doutait bien que l’après-Goncourt ne serait pas Roze.

Déjà elle se préparait à ce qu’on l’attende, au détour du deuxième roman, avec moins d’indulgence et des exigences à la hauteur des espoirs suscités par le premier. Une pression qui doit peser comme du plomb sur les ailes d’un auteur. Et qui explique sans doute pourquoi, dans Ferraille, le labeur, la sueur de l’écrivain ne s’effacent jamais oublier.

Divisé en deux grandes parties, La Fonte, puis La Neige, Ferraille raconte le destin de Jean Pavelski et de Paulina Barheim, tous deux nés dans cette ville qu’on nomme la Cité, une banlieue «grise mais incroyablement vivante jusque dans ses déchirures et ses morts successives». Jean, atteint d’un «mal étrange» qui a frappé les enfants de la Cité peu avant la fermeture de l’usine (son corps grandit, mais il garde ses faibles muscles d’enfant), trouve dans la solitude et la lecture un sublime fortifiant. Paulina, dont le père, autoritaire, règne sur l’usine tel un souverain (on a baptisé leur demeure «Le Château»), décide de devenir médecin plutôt que de quitter la Cité, comme la plupart des gens. Et c’est en sa qualité de médecin qu’elle fait la rencontre de Jean, et qu’elle le séduit, qu’elle l’ensorcelle.

Tout irait bien si cet amour perdurait, mais il y a l’usine à laquelle Paulina reste mystérieusement attachée. Et quand un entrepreneur chinois vient visiter les lieux et conçoit le rêve fou de déménager l’usine, morceau par morceau, dans son pays, Paulina le suivra, laissant Jean dans un désarroi pire que la mort. Et c’est précisément quand Paulina s’en va que l’histoire de Ferraille déraille. La Cité est envahie par un promoteur qui veut en faire le lieu d’un immense parc d’attractions où la forme et la santé seront au centre des activités. Les villageois travaillent comme des fourmis, parfois sous terre, on rejoint presque la science-fiction, et l’on commence à s’ennuyer ferme.

Cette image de l’usine qu’elle a mise au centre de la vie des personnages (hauts fourneaux où s’épuisent les sidérurgistes, métaux en fusion, lave rougeoyante, chaleur créatrice), on dirait que Roze a voulu en faire un creuset dans lequel se matérialiserait son roman après diverses manipulations. Ferraille laisse l’impression qu’on a essayé de fondre divers matériaux, des idées d’écrivains, des personnages intéressants mais sans chair, des phrases magnifiques, une trame improbable, pour faire un tout, quelque chose de plein, de solide. Mais ce qui sort de cette tentative de transformation est un matériau friable qui se défait entre les doigts. Heureusement pour l’auteure, Ferraille est paru sans grand tapage. Et c’est sans doute ainsi qu’il disparaîtra de nos mémoires, ne laissant que le souvenir flou d’une étrange histoire d’amour entre deux personnages éthérés, d’une Cité moribonde, et d’une usine désaffectée qui eut jadis son heure de gloire. Éd. Albin Michel, 1999, 172 p.