Livres

Hemingway, Irving, Le Clézio

C’est un lieu commun, mais les livres sont des voyages qui ne coûtent pas (trop) cher. Mieux que les vrais voyages parfois, ils nous font sentir les ambiances, les parfums, saisir l’esprit des lieux. En plus, le plaisir est doublé d’un voyage intellectuel, qui nous force à changer tout l’espace de quelques pages. C’est à ce grand déménagement, au Portugal de José Saramago, dans la Provence de Pierre Magnan, et dans mille autres lieux, que nous vous invitons en vous suggérant ces romans parus ces jours-ci ou à venir au cours de l’été. Bonne lecture!

Le monde d’Hemingway
Hemingway: le nom incarne la littérature états-unienne du XXe siècle, comme Picasso est le nom propre de la peinture moderne. Hemingway a été de tous les grands combats de notre époque: les deux guerres mondiales, la guerre d’Espagne, mais aussi la dépression et l’alcoolisme. Sa vie est une de ses ouvres, au même titre que ses livres. Aussi existe-t-il de nombreuses biographies d’Hemingway. Une des plus récentes est celle de James R. Mellow, tout simplement intitulée Hemingway: admirable de précision et d’érudition, l’ouvrage se lit comme un roman. Mais c’est dans Hemingway, Portrait de l’artiste en guerrier blessé, de Jerome Charyn, qu’on trouvera les plus intéressants portraits du personnage. Avec le lot d’images à l’appui, caractéristique de la collection Découvertes Gallimard, cet ouvrage va vraiment à l’essentiel, et constitue une des meilleures introductions à l’homme et à son ouvre. Hemingway cherchait toujours à écrire le plus court possible; il considérait que le meilleur de son ouvre tenait dans ses nouvelles. C’est dire combien est bienvenue la publication de ses Nouvelles complètes. Accompagné de larges extraits de la correspondance d’Hemingway, ce fort volume est un pur bonheur de lecture. Même si, comme toujours, la concision de l’écriture d’Hemingway a bien de la difficulté à s’accommoder du passé simple et des subjonctifs d’une traduction trop littéraire.
La littérature et la vie ont rarement été aussi près l’une de l’autre qu’elles le sont dans les récits d’Hemingway. On n’a, bien sûr, qu’une seule vie à vivre; s’il fallait, de la même façon, n’avoir qu’un seul livre à lire, il faudrait peut-être que c’en soit un d’Ernest Hemingway. (P. M.)

Nouvelles complètes
d’Ernest Hemingway
Éd. Gallimard, coll. Quarto, 1999, 1228 p.

Hemingway
de James R. Mellow
Éd. du Rocher, 1995, 753 p.

Hemingway/Portrait de l’artiste en guerrier blessé
de Jerome Charyn
Éd. Gallimard, coll. Découvertes Gallimard, 1999, 128 p.

Le Mexique de Le Clézio et de Cormac McCarhty
Un bel été vous passerez avec un nouveau cru de Jean-Marie Gustave Le Clézio – le prochain livre sortira le 23 juin. Hasard, suivi d’Angoli Mala (Gallimard), en fait deux longues nouvelles (la seconde avait déjà paru il y a quelques années). Ces récits initiatiques se déroulent au Mexique, mais aussi sur la Côte d’Azur, à Nice, et dans les îles, mais on ne nous précise pas lesquelles… Le Clézio évoque encore le monde indien, que l’auteur connaît bien, puisqu’il vit au Nouveau-Mexique depuis très longtemps.

Également, le septième roman traduit en français de Cormac McCarthy, écrivain américain né en 1933 dans le Rhode Island. L’action se déroule en partie au Nouveau-Mexique, au milieu des plaines où vivent les cow-boys modernes de l’Ouest américain. À la suite d’un kidnapping d’une jeune Mexicaine par l’un des protagonistes, une tragédie détruira le monde dans lequel ils vivent. On nous promet le «grand roman chamanique de cette fin de siècle»… Des villes dans la plaine est le troisième tome de la Trilogie des confins (De si jolis chevaux, 1993, Le Grand Passage, 1997). (P. N.)

Hasard, suivi d’Angoli Mala
de J. M. G. Le Clézio
Éd. Gallimard
En librairie le 23 juin

Des villes dans la plaine
de Cormac McCarthy
Éd. de l’Olivier
En librairie le 8 juin

Le Japon de Banana Yoshimoto
Banana Yoshimoto est une jeune romancière japonaise, née en 1964. Elle s’est fait connaître du public occidental avec le jubilatoire Kitchen. Récipiendaire de nombreux prix littéraires dans son pays, elle présente un troisième titre, un recueil de nouvelles intitulé Lézard. Elle y évoque, comme dans ses autres livres, le choc de la culture traditionnelle du Japon avec la modernité. Voix de la jeunesse nippone, Yoshimoto aborde les problèmes de la vie contemporaine tels que la vie amoureuse, les rapports entre les sexes et ceux qui unissent ou désunissent enfants et parents. (P. N.)

Lézard
de Banana Yoshimoto
Éd. Rivages
En librairie le 15 juin

Le Portugal de José Saramago
Le titre étrange de ce roman, Tous les noms, fait référence aux registres de l’état civil, rassemblés dans l’immense bâtiment du Conservatoire général où travaille monsieur José, le héros, obscur petit fonctionnaire qui va vivre des aventures inattendues. L’auteur, le grand écrivain portugais José Saramago, 77 ans, prix Nobel de littérature en 1998, donne vie à tout un univers quelque peu kafkaïen, dans un style aux longues phrases sinueuses, pleines d’ironie. Suivez monsieur José dans sa quête d’une jeune inconnue, qui va le mener à commettre des actes illégaux, qui, en fin de compte, le révéleront à lui-même. Traduit du portugais par Geneviève Leibrich. (R. B.)

Tous les noms, de José Saramago
Éd. du Seuil, 1999, 272 p.

La Provence de Pierre Magnan
Dès qu’on ouvre ce roman de l’auteur français Pierre Magnan, on est happé par une langue sublime, où les mots d’autres siècles se mêlent au langage familier des villageois. La scène se passe à Manosque, pays de Giono, et le récit, le concret de l’histoire racontée, est tout aussi palpitant que la langue est forte. Pierrot, un jeune homme pauvre, y est témoin d’un meurtre, dans la montagne, à cinq heures du matin. Seul dépositaire du secret de cet assassinat passionnel, que plusieurs croiront être un crime politique – nous sommes en 1945 -, l’adolescent promène son regard sur sa communauté et, lentement, fait l’apprentissage de la vie, de la littérature, de la sensualité. Une ouvre magnifique. (R. B.)

Le Grison d’Arcadie, de Pierre Magnan
Éd. Denoël, 1999, 288 p.

L’Espagne de Fanny Buitrago
Premier roman de la Colombienne Fanny Buitrago à être traduit en français, Señora de la miel, qualifié de «conte de fées coquin et débridé», allie avec fantaisie les plaisirs de la table aux jouissances de la chair. Ce roman à la sauce colorée sud-américaine se promène de Madrid, où la naïve Teodora est initiée aux arts sensuels par un maître de gastronomie aphrodisiaque, fort titillé par ses charmantes rondeurs, au village colombien où le bel époux, dont elle se languit, la cocufie sans répit. Et où Teodora reviendra pour mettre en application ses savoureuses leçons…(M. L.)

Señora de la miel, de Fanny Buitrago
Éd. Lattès, 1999, 231 p.

Le Québec, vu par des auteurs étrangers
«Où est donc le pays dont ils parlent?» C’est l’une des questions que pose cet ouvrage original, anthologie «géo-littéraire» dont les textes parlent du Québec vu par de grands noms de la littérature et de l’histoire. Luc Bureau, géographe (Géographie de la nuit, 1997) s’est intéressé à la vision des autres sur nous-mêmes, sur notre culture, notre territoire. Il explique tout ça dans sa préface, spirituelle à souhait, et expose également la manière, bien sûr très subjective, dont il a sélectionné les textes; trente-quatre auteurs sont convoqués dont Alphonse Allais, Sarah Bernhardt, André Breton, Cyrano de Bergerac, Conan Doyle, Julien Green, Lovecraft, Thoreau, Tournier, Mark Twain et bien d’autres. Bureau a fouillé documents et revues (du Harper’s Magazine à La Revue des deux mondes), et a concocté un livre qui nous fait voyager autant dans le temps que dans l’espace. (P. N.)

Pays et Mensonges
Le Québec sous la plume d’écrivains et de penseurs étrangers
de Luc Bureau
Éd. Boréal, 1999, 400 p.

L’Irlande de Jean Markale
Jean Markale, auteur de nombreux récits très documentés sur le monde arthurien (Le Cycle du Graal) vient de publier un cinquième et dernier tome de La Grande Épopée des Celtes: Les Seigneurs de la brume, qui peut se lire indépendamment des épisodes précédents, puisque l’auteur décrit en introduction le contexte historique et les documents à la source de son récit. L’action se déroule en Irlande, et a pour toile de fond la lente mais sûre christianisation de l’Europe. Pour les amateurs de druideries, de légendes et, bien sûr, d’histoire. (P. N.)

Les Seigneurs de la brume, de Jean Markale
Éd. Pygmalion, 1999, 301 p.

L’Amérique de Philip Roth
Pastorale américaine (American Pastoral) a reçu le prix Pulitzer du roman en 1998; le Théâtre de Sabbath a été couronné par le National Book Award en 1995, prix que Philip Roth a également remporté pour Goodbye Colombus, son premier roman, en 1960. Deux autres romans lui ont valu le National Book Critics Circle Award… (La Contrevie, 1987, Patrimoine, 1992)! C’est ce qu’on appelle une figure «marquante» de la littérature américaine. On publie ces jours-ci la seconde partie d’une série à caractère autobiogaphique, dans laquelle on retrouve le personnage de Zuckerman, double de l’écrivain, déjà présent dans Théâtre de Sabbath, première partie publiée en 95. Roth évoque dans la plupart de ses romans l’histoire comtemporaine, la condition juive, et trace un portrait saisissant de l’Amérique. (P. N.)

Pastorale américaine, de Philip Roth
Éd. Gallimard, 1999, 432 p.

D’autres romans et nouvelles qui voyagent…

Les seins d’une femme jalouse
de Jean-Guy Noël
Abondamment pimentées d’érotisme, les seize nouvelles de ce recueil nous transportent des paddocks de Blue Bonnets aux «tobacco farm» du Sud ontarien, d’une sulfureuse lune de miel en Algérie à un voyage cauchemardesque aux États-Unis, en passant par une vision éclair de la chambre où fut tourné Le dernier tango à Paris; de souvenirs d’enfance initiatiques et amusants à des récits où le réel et la sexualité dérapent. Des histoires d’inspiration variée, entre le cocasse et l’inquiétant. À sa première incursion littéraire, le cinéaste Jean-Guy Noël (Ti-Cul Tougas, Tinamer) prouve qu’il a l’imagination fertile et le don de camper une situation. À découvrir. Éd. Québec Amérique, 1999, 296 p. (M. L.)

Une veuve de papier
de John Irving
Un jeune homme devient secrétaire d’un écrivain, qui trompe sa femme à tour de bras et donne la sienne en pâture à ce jeune fils de bonne famille littéralement sous le charme de la dame. Les fantômes de Timothy et Thomas, les deux fils du couple, flottent dans cette grande maison de Long Island, eux qui sont morts dans un accident de voiture et dont la disparition a plongé la famille dans un deuil permanent. Reste Ruth, petite fille adorable et curieuse qui deviendra écrivain: de la Nouvelle-Angleterre à Amsterdam, le récit de sa vie, à rebours, est l’épine dorsale du récit d’Irving, qui signe là un très bon cru. Éd. du Seuil, 1999, 468 p. (P. N.)

L’Enfant de Bruges
de Gilbert Sinoué
Par l’auteur du Livre de saphir, qui avait remporté le Prix des librairies en 1996. Nous sommes à Bruges, ville mythique de Belgique, en 1441. Un enfant est témoin d’un mystère qui aurait dû rester secret: il se retrouve au milieu d’une conspiration entourant peintres, orfèvres, penseurs, architectes. Entre Bruges et la Toscane se trame un roman noir, où l’art et le personnage de Jan Van Eyck, peintre flammand, occupent une grande place. Éd. Gallimard, 1999. En librairie le 3 juin (P. N.)

L’Expédition
de Pierrette Fleutiaux
Le journal d’Angèle Lapérierre constitue ce roman «d’aventures» qui se déroule dans l’un des lieux les plus énigmatiques de la planète: l’île de Pâques. Évidemment, nous sommes loin du récit d’exploration conventionnel (si tant est qu’une exploration ait quelque chose de «conventionnel»!), mais plutôt au confluent du roman picaresque et du portrait social, où se croisent une équipe de cinéma, des touristes, et les habitants de l’île, les Pascuans. L’auteure de Nous sommes éternels (prix Fémina 1990) nous transporte très loin du monde, pour mieux nous mettre face à nous-mêmes, et nous faire réfléchir sur notre condition humaine, sur notre société. Éd. Gallimard, 1999, 455 p. (P.N.)