Chair d'assautMélika Abdelmoumen : Premier épisode
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Chair d’assautMélika Abdelmoumen : Premier épisode

En dépit de son nom «exotique», elle est née à Chicoutimi. Elle est encore dans la vingtaine, elle détient une maîtrise en littérature, elle nourrit une passion pour l’ouvre d’Hubert Aquin, mais elle signe quelques textes de chansons sur le nouveau disque compact de sa copine, Mitsou! Un personnage paradoxal, pas du tout évident à cerner. Ç’aurait pu être sa faiblesse; elle en a fait sa force.

Malgré ses apparences de roman policier, où les éléments classiques se profilent, à savoir: un meurtre, des suspects et des mobiles probables, du linge sale de famille et un enquêteur qui doute des évidences, Chair d’assaut n’a rien d’une investigation d’Hercule Poirot. Ici, le polar, c’est un exercice de style, un peu comme l’ont pratiqué les apôtres du nouveau roman et certains jeunes poulains de l’écurie des Éditions de Minuit depuis. Et ça rejoint la filiation que Mélika Abdelmoumen revendique clairement avec son maître, Hubert Aquin. On ne parle pas tant de déduction que de construction.

C’est cérébral, donc, mais Dieu que c’est charnel. Difficile d’expliquer rationnellement pourquoi on succombe au charme mystérieux, un peu maléfique, de ce récit très fragmenté, dont l’intrigue se déroule en 2004. Le corps du roman est principalement constitué des diverses pièces à conviction assemblées par Laura Vale, étrange héritière des carnets intimes de l’héroïne, l’énigmatique Rebecca Last, présumée meurtrière; et des rapports d’enquête et commentaires du détective, Paul Huysmans, chargé d’interpeller le coupable.
Cette narratrice, qui semble d’abord être davantage une simple archiviste avant de devenir une véritable activiste, nous guide dans le labyrinthe entourant l’assassinat de Samuel Colin. Tous les soupçons pèsent, bien entendu, sur Becka, son amante, en fuite depuis le meurtre. Mais le très sceptique inspecteur fouillera plus loin que dans les seuls draps du couple et grattera le vernis de l’histoire familiale des Last, où l’on retrouve un père psychanalyste volage et violent, une mère victime, un frère artiste-culte… De la crasse haut de gamme.

On le voit, Agatha Christie aurait pu s’amuser à faire du petit point au fil blanc avec cette toile de fond, et nous berner en semant des germes de doute autour du père, du frère, sans oublier tous les personnages secondaires, qui pourraient s’attribuer de bien légitimes mobiles. Mais Mélika Abdelmoumen ne s’est pas donné la peine de fabriquer un roman à énigme où l’on cache le coupable, son mobile et l’arme du crime dans une enveloppe de jeu de société, et qu’on élucide comme de vieilles dames anglaises. Ce n’est pas trop sa tasse de thé.

Elle ne s’est pas non plus contentée d’échafauder une structure complexe, pour n’exciter que les mathématiciens de la littérature. Elle s’est plutôt acharnée à se mettre les tripes sur la table, sans renier ses idéaux intellectuels. Jamais le travail formel, qu’on devine primordial, ne vient étouffer les élans presque lyriques qui suintent dans le journal de Rebecca, qui «suffoquait de bonheur» dans son malaise grandiose d’aimer et d’être aimée.
Hubert Aquin pourrait être fier de son émule.

Chair d’assaut
de Mélika Abdelmoumen
Éd. Trait d’union, 1999, 205 p.