Les Seins d'une femme jalouse : Les éros de mon enfance
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Les Seins d’une femme jalouse : Les éros de mon enfance

Dans son tout premier livre, un recueil de nouvelles et de récits intimes, JEAN-GUY NOËL aborde le genre sur un ton bien à lui, plein d’érotisme et d’humour caustique.

Ces bouquins chargés de souvenirs d’enfance, d’anecdotes familiales et d’historiettes coquines, on en a vus d’autres. Tellement d’auteurs sont persuadés d’intéresser la terre entière par le récit de leur premier «french kiss» ou de quelque coup pendable qu’il faut vraiment faire différent pour donner dans le genre sans radoter. Voilà sans doute pourquoi Jean-Guy Noël, avec ce premier recueil de nouvelles, cause une belle surprise.

Les Seins d’une femme jalouse, c’est une suite de seize histoires, seize bribes de vie s’étalant sur quatre décennies, qui dessinent un monde où les pas sont emportés par le désir. Depuis les années 60, à Montréal, jusqu’aux années 90, à New York ou à Alger, seize aventures se trament, que l’on peut diviser en deux parties relativement distinctes, celles de l’enfance et de l’âge adulte. Entre ce gamin qui suit son père aux courses de chevaux, curieux de ce qui se manigance dans les écuries autant que de ce qu’il devine sous les jupes des filles, et l’homme mûr; entre Blue Bonnets et le Paris diplomatique, petits et grands demeurent guidés par leurs fantasmes et leur curiosité pour tout ce que cachent les apparences.

Chaque nouvelle est un tableau, quasi cinématographique, ce qui n’est pas étonnant puisque l’auteur est avant tout réalisateur _ on lui doit, entre autres films, Ti-Cul Tougas (prix de la Critique québécoise de cinéma en 1976). Les premiers textes, par leur sujet et le regard naïf qu’ils posent sur Montréal, ne sont d’ailleurs pas sans rappeler Léolo ou Le Matou.

Il y a des passages très amusants, quand le gamin reçoit un chronomètre en cadeau, par exemple: «Les premières semaines, je timais tout ce qui se time. Le temps que ma mère prenait pour servir à table le macaroni à toute la famille. […] Le temps que je prends pour pisser en me levant le matin. En poussant très fort et en buvant pas avant de me coucher la veille, mon record est de treize secondes.»

À mi-parcours du livre, on quitte un peu à regret ces souvenirs d’enfance, vraiment savoureux. Entre les premières et les dernières pages, l’auteur change clairement de registre, ce qui toutefois lui donne l’occasion de démontrer beaucoup d’habileté dans le récit érotique, ainsi qu’en témoigne, entre autres, J’ai quelque chose à te dire, une brève histoire d’infidélité. Un couple de Québécois séjournant en Algérie connaît de curieux moments, quand la femme se laisse enjôler par un Arabe pendant que son mari dort d’un sommeil de plomb, juste à ses côtés. L’auteur, pour conter cette nouvelle, s’est d’ailleurs glissé dans la peau d’une femme.

L’écriture de Jean-Guy Noël est sans prétention, souvent proche de la langue orale, empruntant parfois même à l’anglais, ce qui convient bien au récit. On en oublie que la dernière étape de correction a sans doute été bâclée (on rencontre en effet quelques fautes que l’on ne pardonnerait pas à un enfant de cinquième année). Soit, pas de quoi nous détourner de ce très joli recueil, dont plusieurs nouvelles, par leur fraîcheur et leur sujet à la fois montréalais et universel, pourraient inspirer de belles scènes de film.

Les Seins d’une femme jalouse,
de Jean-Guy Noël

Éditions Québec/Amérique
1999, 296 pages